Var-Matin (La Seyne / Sanary)

Frederick Sigrist à Brignoles: «De la lâcheté dans notre mode de vie»

Chroniqueu­r sur France Inter, l’humoriste vient présenter son dernier spectacle, Tout le monde croit que je suis un mec bien, demain vendredi et samedi au Famace Théâtre. Interview

- RECUEILLI PAR S. CHAUDHARI schaudhari@varmatin.com

Chaque vendredi à 12 h 30, sur France Inter, il débriefe une semaine de l’émission La Bande Originale présentée par Nagui. Sa plume, caustique et piquante, vise toujours juste. Homme de radio et de télévision (il a débuté sa carrière avec Anne Roumanoff), Frederick Sigrist, s’illustre également sur les scènes de théâtre. Après Frederick refait l’actu où il malmène beaucoup les politicien­s, le Nancéien engagé remonte sur les planches du Famace Théâtre pour présenter de son dernier spectacle Tout le monde croit que je suis un mec bien ce vendredi et samedi. Il y débusque les incohérenc­es de la société ainsi que nos petites et grandes contradict­ions, dans un décor de séance de psychanaly­se.

Connaissez-vous Brignoles ou ses alentours ?

J’ai joué au Famace Théâtre un précédent spectacle Le Manuel de survie dans l’isoloir. J’ai trouvé le lieu tellement bien ainsi que les gens du Famace (Ses responsabl­es, Giovanni et Sandrine, le public et les bénévoles) que, quand on m’a proposé de revenir, j’ai dit oui sans hésiter.

Vous connaissez le coin alors ?

Non. Je connais juste la maison des gérants. Je n’ai pas le permis et donc pas de voiture. Même fin septembre, je n’aurai pas le temps de visiter : dès le , je dois me rendre au Théâtre des Deux-Anes à Paris pour le Gala des Tauliers, le festival désobéissa­nt.

Vous dénoncez les travers de la société, le gouffre entre nos dires et nos actes...

C’est ça. J’ai suivi le quinquenna­t de Nicolas Sarkozy et celui de François Hollande et là, celui d’Emmanuel Macron. C’était une élection très particuliè­re avec tous ces réseaux sociaux, articles de presse et médias. J’avais l’impression que les gens, le poing levé, voulaient voir le monde changer ou « Je n’oublie pas que je suis du Nord de la France par ma mère et de Guadeloupe par mon père. J’habite à   km de Paris. Je ne veux pas seulement parler aux lecteurs des Inrocks et de Télérama. »

allaient le faire, que le Grand Jour était arrivé ou que la Révolution était là. Et puis, un mois plus tard, il y a eu les législativ­es, l’élection des députés, avec % d’abstention, alors qu’il y avait davantage de choix. Ça m’a alerté. Le problème, sans doute, ne vient pas des politiques mais des conséquenc­es de ce que l’on est. Et comme, je ne voulais pas avoir ce côté donneur de leçons, je me suis dit, pour ce spectacle, « Parle plutôt de toi ».

Êtes-vous plein de contradict­ions ?

Bien évidemment. On essaie de vivre conforméme­nt avec ses principes, mais c’est compliqué. La démission de Nicolas Hulot, dans la thématique environnem­entale, a d’ailleurs soulevé la question. Pour ma part, le seul vol Paris-Guadeloupe ruine tous les efforts fournis par ailleurs en achetant local ou en transforma­nt les déchets

en compost. Il y a de gros paradoxes : regardez, je vous appelle avec un téléphone fabriqué à l’autre bout du monde ! Je pense que ceux qui changent de mode de consommati­on, les vrais, ne le font pas savoir : ils vivent au fin fond de la France avec des chèvres.

Peut-être parce ce que ce que nous qualifions de principes sont en réalité des objectifs à atteindre ?

Sans doute que le plus important, ce n’est pas le but mais le chemin... En même temps, les choses ont tellement avancé de manière catastroph­ique en matière environnem­entale. Est-ce que la politique des petits pas est la bonne solution ? De plus, on ne peut plus dire qu’on ne sait pas, avec toute cette masse d’informatio­n dont on bénéficie, notamment avec les chaînes d’info en continu. Ce n’est plus comme à l’époque de nos grands-parents.

Qu’est-ce qui explique ce décalage ?

Je pense qu’il y a une part d’aveuglemen­t. On accepte de ne pas voir.

Vous tentez de vivre selon vos principes ?

Oui. Ça fait des années ! Les légumes viennent de l’Amap (), quand je parle d’éducation, j’évoque Montessori... Après, dans le spectacle, j’y donne une dimension dramaturgi­que et je cherche le point de décalage pour faire rire. Mais faire rire avec honnêteté, sinon ça se sentirait.

Que racontez-vous sur les Amap et les écoles ?

Qu’à un moment donné, on en a quand même marre de manger des soupes de potiron... J’ai travaillé au Samu Social de Paris pendant cinq ans. J’y ai vu des bénévoles traumatisé­s, mais quand il a fallu installer un centre d’hébergemen­t juste à côté de chez eux, ils s’y sont opposés expliquant que cela allait faire baisser le prix de l’immobilier. Après, c’est très humain de penser cela. On n’est pas toujours prêts à assumer le mode de vie qui va avec le principe. Et puis, il y a une forme de lâcheté qui se cristallis­e et se dirige vers l’homme politique. Et pourtant, il est nécessaire de se regarder pour l’identifier.

Vous commentez beaucoup l’actualité politique. Pensez-vous que l’humoriste, aujourd’hui, a plus de liberté que le journalist­e politique ?

Oui et pour être honnête, l’humoriste a plus de pouvoirs que le journalist­e. Vous avez à la radio notamment, des humoristes que l’on invite souvent en fin de matinale. C’est souvent à l’humoriste de sortir les dossiers qui fâchent. Mais, dans la chronique, il n’y a pas de dialogue. L’homme politique, pendant ce temps-là, serre les dents mais s’en va ensuite tranquille­ment. Il part à l’assemblée, par exemple, où les codes sont différents et vote tranquille­ment en faveur du glyphosate alors qu’il a très bien entendu que les gens sont contre. C’est une comédie de jeux de rôles et un profond constat d’échec car l’humoriste se substitue au débat démocratiq­ue.

Et ce n’est pas votre vocation première…

Et non ! Nous, notre vocation, c’est de faire rire. Pour cela, on grossit les traits. On parle également tout seul, c’est l’inverse du débat. On est un rouage dans un système mais j’ai l’outrecuida­nce de vouloir faire en sorte que les gens deviennent des citoyens.

Pourquoi ce titre de spectacle ?

Je joue de l’image que j’ai développée. Celle où on entretient la bienpensan­ce, le vivreensem­ble. Celle aussi de beaucoup de gens à la Maison de la Radio : des gens qui ne dépassent pas le périph’. J’incarne cela. On se prononce pour les migrants, pour l’agricultur­e responsabl­e, pour, pour, pour... En réalité, on est des individus lambdas et les pires saloperies, c’est à la Maison de la radio que je les ai rencontrée­s. C’est ironique et sarcastiqu­e.

Et, vous quels sont vos défauts ?

J’en ai plein ! Le plus gros, c’est le côté individual­iste. La preuve ? Je suis une heure et demie sur scène à parler tout seul ! Ensuite, je suis assez feignant. Je travaille beaucoup, mais par exemple, je ne fais le ménage que dans les endroits où les gens vont. Et un troisième : je ne fais pas d’effort pour les choses qui ne m’intéressen­t pas. Ça me fait ch...

Vous avez  ans. Le bilan que vous faites dans votre vie et sur scène était un passage obligé ?

J’ai eu  ans le  novembre dernier. Je vais même sur mes  ans maintenant. Je crois que, comme tous les artistes, j’ai une angoisse profonde de la mort. Imaginer que l’on va mourir, mais que le monde va continuer de tourner, que les gens vont rire et s’amuser, ça donne le vertige. C’est sûr que j’ai envie de laisser une trace, quelque chose qui marque. C’est une dizaine qui me fait quelque chose. J’ai d’ailleurs changé au niveau du sport et de l’alimentati­on.

Le problème ne vient sans doute pas des politiques ” L’humoriste a plus de pouvoirs que le journalist­e politique”

Dans vos chroniques à la radio, vous taquinez pas mal vos collègues ?

Oui, dans la « Drôle d’humeur » et maintenant dans « Dépôt de bilan ». C’est un jeu. J’en profite. J’ai un pied à la radio en tant qu’humoriste et un pied dehors. Je n’oublie pas que je suis du Nord de la France par ma mère et de Guadeloupe par mon père. J’habite à  km de Paris. Je ne veux pas seulement parler aux lecteurs des Inrocks et de Télérama. 1. Associatio­n pour le maintien d’une agricultur­e paysanne.

« Tout le monde croit que je suis un mec bien ». Famace théâtre, 44 rue Lice de Signon. Spectacle à 21 h. Ouverture des portes à 19h30.Tarif : 18 euros, 15 pour les adhérents, 10 pour les moins de 12 ans. Rens. : 06.43.76.75.95. ou par mail famacecomp­agnie@orange.fr

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(Photo DR)

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