Var-Matin (La Seyne / Sanary)

Zoé Valdés, le désir plus fort que tout Interview

L’écrivaine cubaine sera la présidente de la Fête du livre du Var, qui se tiendra du 16 au 18 novembre, places d’Armes, à Toulon. Rencontre avec une femme engagée

- PROPOS RECUEILLIS PAR VALÉRIE PALA

La romancière, poète et scénariste cubaine Zoé Valdés ne cesse de décliner son île dans ses écrits. Même lorsqu’il s’agit d’un Cuba dans la dictature, – qu’elle a vécue –, les couleurs, les saveurs, la soif de vivre et d’aimer y explosent dans la noirceur. Comme dans son dernier roman, Desirée Fe paru cette rentrée. Celle qui présidera bientôt de la Fête du livre du Var, à Toulon n’épargne pas pour autant le régime.

Vous avez dû vous exiler, il y a plus de  ans maintenant. Dans quel contexte ?

C’était pour mon deuxième roman chez Actes sud, Le Néant quotidien. Les autorités cubaines n’ont pas aimé. J’avais aussi donné pas mal d’entretiens à l’époque, et je me souviens que le déclenchem­ent de tout ce qui s’est passé, c’était un entretien pour le journal Libération. Elles n’ont pas aimé ça. Elles ont envoyé quelqu’un de l’ambassade là où je logeais, qui est entré de façon très violente dans l’appartemen­t et m’a dit tout de suite “tu ne pourras pas rentrer à Cuba si tu n’arrêtes pas de faire des déclaratio­ns contre ton pays et si tu n’arrêtes pas de publier ces livres-là”. C’est comme ça que tout a commencé. Évidemment, j’ai continué à donner des interviews, j’ai continué à publier des livres et j’ai tout de suite été mise sur une liste noire avec d’autres écrivains et artistes. (Elle quittera plus tard Cuba, ndlr).

Vos livres sont toujours interdits à Cuba…

Oui, toujours. Ils ne sont pas vendus dans les librairies, et il n’y a pas un seul article dessus. Et évidemment, si on trouve quelqu’un avec un de mes livres, comme un de ceux de Reinaldo Arenas entre autres, cette personne reçoit une amende.

Vous dites qu’aujourd’hui, Miguel Diaz-Canel, le successeur de Raul Castro depuis avril, serait pire que Raul Castro…

C’est quelqu’un qui a été nommé par Raul Castro, qui a été formé par les Castro. C’est un ancien militaire, il faut le savoir. Il y a une vidéo sur Youtube, où l’on peut le voir en train de dire qu’il allait interdire pas mal de sites qui parlent de Cuba. Déjà, Internet est interdit à Cuba, mais il y a des possibilit­és de voir quelques sites, dans quelques endroits, comme le ministère de la Culture... Il a parlé de l’interdicti­on de journaux et magazines. Il a eu aussi des mots très durs contre la liberté d’expression, contre les opposants qui sont en train de montrer qu’il est un successeur de l’homme, si l’on peut appeler cela “homme”… qu’est Castro.

Votre famille court un risque chaque fois que vous donnez un entretien à la presse ?

Oui, à chaque fois, ils vont visiter ma famille et mes amis. Je ne sais comment on peut s’étonner de ça. C’est un pays communiste, c’est un pays totalitair­e. C’est un pays qui n’a rien changé, même si quelques gens veulent donner l’impression que ça a changé. Ça n’a pas changé.

L’attitude de la France peut être condamnabl­e, selon vous ?

Oui, la position de la France avec François Hollande et Anne Hidalgo, que j’ai soutenue, comme on le sait. Elle sait très bien ce qui se passe à Cuba, et recevoir Raul Castro ici, avec tous les honneurs ! Je ne sais pas si vous le savez, mais eux savent que Raul Castro était un des chefs, avec Che Guevara, de toutes les exécutions massives à Cuba. Donc ça, c’est quelque chose d’épouvantab­le pour tous les gens qui aiment la liberté et la démocratie. On ne peut pas accepter. C’est un tyran, un dictateur et c’est un criminel, surtout. Et cela, c’est condamnabl­e. Je condamne aussi le silence de l’actuel gouverneme­nt et d’Emmanuel Macron, que l’on a alertés sur plusieurs cas de prisonnier­s politiques à Cuba. Le cas le plus connu est Eduardo Cardet, médecin en prison depuis deux ans déjà, leader du Mouvement chrétien libération. On n’a reçu que le silence.

Vous gardez toujours l’espoir de retourner à Cuba ?

Un jour, c’est sûr quand il y aura de la démocratie, la liberté, je reviendrai dans mon pays. Mais sinon, je pense à d’autres endroits plus merveilleu­x dans le monde, qu’il faut connaître, à l’art, à la culture…

C’est ce qu’on retrouve dans votre livre. Cette soif de liberté, de vivre, de faire l’amour à Cuba…

Quand vous avez tout perdu au niveau spirituel et moral, et que vous n’avez rien, rien, rien, il vous reste toujours votre corps comme moyen de résistance, et il vous reste aussi le désir. C’est la seule chose qu’ils ne peuvent pas détruire, avec l’imaginaire. Tout cela est très lié à la sexualité et à la sensualité.

On a l’impression d’avoir perdu cela dans nos sociétés confortabl­es…

Ah non non, je vois énormément de jeunes en France avec du désir, l’envie de vivre ! Le seul danger qu’il pourrait y avoir serait de mélanger la politique et la religion. On ne peut pas mélanger le social et la religion, parce que ce n’est pas ça, la liberté.

Vous n’arrivez pas à écrire un livre triste, c’est impossible

pour vous…

Je pense que c’est culturel, je l’avais déjà expliqué dans La Ficcion Fidel (paru en ). Dans la psychologi­e cubaine, la douleur s’exprime par la fête. Les esclaves enchaînés, pour oublier la situation épouvantab­le dans laquelle ils se trouvaient, chantaient et dansaient. Et puis, il y a le côté espagnol aussi, festif, et qui exprime aussi sa douleur par la joie, la musique, comme le flamenco… Personnell­ement, j’aime énormément Buster Keaton, je trouve que c’est un comique très sensuel. J’aimais aussi énormément Celia Cruz, une des plus grandes chanteuses cubaines. Chaque fois que j’écris un livre, j’écris en pensant à eux. Je pense que la pudeur de la douleur est beaucoup plus intéressan­te, crédible, et profonde, que raconter toujours les tortures, la tragédie, même si je l’ai fait aussi. Dans mon cas, la dénonciati­on passe par la beauté lyrique des mots.

Pourquoi avoir accepté de présider la Fête du livre de Toulon ?

Je suis venue déjà à Toulon une fois et j’ai beaucoup aimé. C’est un festival qui m’a laissé de très bons souvenirs. C’est aussi une ville que j’aime beaucoup. Et c’est un honneur pour moi de pouvoir présider une manifestat­ion culturelle de cette importance. C’est aussi une responsabi­lité, et cela me plaît énormément. J’ai toujours préféré les responsabi­lités, plus que les honneurs, mais là ça va ensemble. Je suis très fière. ◗ Desirée Fe, Zoé Valdés, Arthaud ed. Fête du livre du Var, organisée par le Départemen­t, du 16 au 18 novembre, place d’Armes à Toulon. ◗ Entrée gratuite.

 ?? (Photo DR Patrick Gaillardin/Flammarion) ?? « Quand vous avez tout perdu au niveau spirituel et moral, et que vous n’avez rien, rien, rien, il vous reste toujours votre corps comme moyen de résistance ».
(Photo DR Patrick Gaillardin/Flammarion) « Quand vous avez tout perdu au niveau spirituel et moral, et que vous n’avez rien, rien, rien, il vous reste toujours votre corps comme moyen de résistance ».

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