En patrouille avec le 21, le long de la « Blue Line »
Soyez les bienvenus les amis ! » Propriétaire du Super Marché Aoun, à Rmeich, petite commune située à l’extrême sud du Liban, Edmond aime visiblement les casques bleus. Surtout s’ils achètent dans son magasin. « Leur présence a encouragé le commerce. C’est bien », se réjouit, dans un français hésitant, celui qui se présente comme un cousin de l’inoxydable Michel Aoun, le général chrétien devenu président de la République du Liban. Les affaires marchent tellement bien qu’Edmond a pu s’agrandir en 2010. Et pas qu’un peu : il a doublé la surface de son magasin, qui atteint désormais les 1700 m2! L’information a de quoi surprendre quand on regarde une carte du pays du cèdre. Rmeich, dont le nom est écrit en grosses lettres à flanc de colline, est en effet situé à 2 kilomètres à peine de la frontière avec Israël. La fameuse Blue Line. Autant dire qu’en 2006, lors de l’offensive de Tsahal, en représailles à l’enlèvement de deux soldats israéliens par le Hezbollah, la commune était en première ligne. Pourtant, « Rmeich a globalement été épargné par les bombardements israéliens », affirme Anna, qui travaille comme interprète pour la Force intérimaire des Nations unies au Liban (Finul) depuis une dizaine d’années. Ce miracle, Rmeich le doit sans doute en partie à la confession de sa population. Dans un Sud Liban très majoritairement chiite, « le village de Rmeich est 100 % chrétien », assure Anna. Et il l’affiche ! Partout ailleurs dans la région les drapeaux verts du mouvement Amal et les bannières jaunes du Hezbollah, frappées d’un poing brandissant une kalachnikov, sont omniprésents sur le bord des routes. Quand ce ne se sont pas les portraits de Moussa Sader, Hassan Nasrallah, Ali Khamenei (1), ou encore de quelques martyrs qui ornent les carrefours. Ici à Rmeich, et dans deux ou trois villages alentours, ce ne sont que croix et statues de la Vierge Marie. Seule représentation profane
Partout des portraits de martyrs et de leaders chiites”
autorisée : celle du général François El Hajj, tué dans l’explosion de sa voiture à Beyrouth en 2007…
Échanger avec la population, récolter de l’information” Timides provocations le long de la frontière”
Si cet attentat date, il rappelle la violence endémique qui frappe le pays depuis plus de quarante ans. Le lieutenant-colonel Frédéric Edel, chef de corps du 21e RIMa et patron de la Force Commander Reserve, est catégorique : « Actuellement, la situation est calme, mais le Sud Liban reste une zone d’opération extrêmement sensible, politiquement et militairement. Toute patrouille peut être dangereuse. Un petit incident peut vite dégénérer. Pas plus tard que début août, une patrouille italo-slovène a ainsi été prise à partie. » Pour éviter de connaître pareille mésaventure, l’armée française a ses petites recettes. Postulat de base : toutes les patrouilles se font conjointement avec les Forces armées libanaises (FAL). Illustration : avant d’atteindre le centre de Rmeich, la patrouille française, constituée d’une dizaine de militaires varois, récupère quatre soldats libanais au point 5-20, une base des Nations unies tenue par les casques bleus ghanéens. Une fois dans le village chrétien, pour un «market walk», une déambulation dans les rues au contact de la population, les marsouins du 21 la jouent discret. « On doit être visible, mais ne pas oublier qu’on n’est pas chez nous. On doit se montrer courtois et respectueux des us et coutumes locaux », explique le sergent-chef Jean-François (2), chef de section de la 5e compagnie. Pas d’étalage non plus de la force : ils sont là pour une mission de maintien de la paix. Si les soldats libanais patrouillent avec leur fusil d’assaut M16, les casques bleus français n’arborent, eux, qu’un pistolet Beretta à la ceinture. «Low profile » est le maître mot. Mais lorsqu’on s’étonne de voir la patrouille déambuler d’un pas presque nonchalant dans les rues de Rmeich, et même faire du shopping, le sergent-chef JeanFrançois fait de la pédagogie. « Ça fait partie du job de faire tourner un peu le commerce local, de montrer qu’on ne fait pas que passer. Et puis, on en profite pour échanger avec les habitants, récolter de l’information.» Quelques centaines de mètres plus loin, la patrouille s’arrête à une terrasse de café. Les soldats libanais restent à l’écart. « On n’a pas le droit pendant le service », lâche leur chef, en guise d’explication. En passant à proximité, une femme, sourire aux lèvres, s’autorise un « bonjour, ça va ? »à l’adresse des militaires français. De retour du comptoir, Anna, la traductrice, qui, volontairement ou pas, a revêtu un tee-shirt floqué d’une Tour Eiffel, déclare : « Le serveur est syrien. Il parle français. Vous pouvez peutêtre recueillir quelques renseignements…» Mais on aurait tort de croire que la mission des casques bleus français au Liban se limite à ces promenades bucoliques dans les rues des villages. De jour, comme de nuit, ils patrouillent également le long de la frontière controversée avec Israël. « Là encore, toujours avec les FAL », confie le sergent-chef JeanFrançois. Une frontière marquée jusqu’à présent par des fûts couleur bleu UN, mais qu’Israël remplace progressivement par un T-wall, un mur en béton identique à celui qui la sépare déjà de la Cisjordanie et de Gaza. « Globalement, la situation reste calme le long de la Blue Line. D’une certaine façon, ça rassure les soldats de Tsahal de nous voir patrouiller avec les FAL. Mais, même si ça reste rare, il est arrivé que des civils libanais viennent provoquer les Israéliens. On intervient en leur demandant de partir », raconte le sergent-chef Jean-François. Outre ces patrouilles, les marsouins du 21 n’ont pas le temps de s’ennuyer. Leur semaine type se décompose en gardes au camp 9-1 de Dayr Kifa, d’échanges avec les autres armées engagées dans la Finul et d’entraînements conjoints avec les Forces armés libanaises. En soldat expérimenté, le sergentchef Jean-François déclare : « C’est une très belle mission pour les jeunes qui participent à leur première opération extérieure. » 1. Respectivement fondateur de Mouvement d’Amal, secrétaire général du Hezbollah et guide suprême de la révolution islamique en Iran. 2. Pour des raisons de sécurité, seul le prénom des militaires français est utilisé.