Var-Matin (La Seyne / Sanary)

Marek Halter : « La France est un paradoxe »

L’écrivain français, connu pour son engagement pour la paix au Proche-Orient, revient avec une autobiogra­phie. Un livre qu’il a écrit pour donner un sursis à sa femme. En vain

- PROPOS RECUEILLIS PAR PIERRE-LOUIS PAGÈS plpages@nicematin.fr

Sa vie est un roman. Né à Varsovie, Marek Halter aurait pu être emporté, balayé, comme nombre d’enfants juifs, par la folie meurtrière du nazisme. Déjouant tous les pronostics, ce fils d’imprimeur a rencontré parmi les personnali­tés les plus emblématiq­ues, sinon puissantes des XXe et XXIe siècle. De Staline à Gorbatchev, en passant par Che Guevara, Yasser Arafat, Anouar el-Sadate, Yitzhak Rabin et tous les présidents français depuis François Mitterrand, son carnet d’adresse est impression­nant. Naturalisé français en 1980, Marek Halter nous raconte son incroyable aventure dans Je rêvais de changer le monde (1), à paraître ce 17 janvier.

Votre vie ressemble à une course sans fin, parsemée de rencontres incroyable­s auxquelles rien ne vous prédestina­it. Vous êtes un peu le Forrest Gump de la littératur­e française ?

(Rires) Vous savez, la vie est faite de hasards. Mais l’homme peut aussi s’arranger avec le hasard. Je pars du principe que chaque vie est un livre, une aventure. Sauf que la plupart des gens ne pensent pas leur vie de cette manière. Pour cela il faut être curieux des gens, les aimer et ne pas, d’une certaine manière, avoir peur du pouvoir. (Il raconte alors une anecdote sur Vladimir Poutine). Les va-nu-pieds que nous sommes ne doivent pas avoir peur de faire entrer de l’air frais dans la vie des puissants. Ça leur fait du bien et ça les fait réfléchir. Et nous, d’un seul coup, on est alors accepté comme des interlocut­eurs. Depuis cette première rencontre, Poutine, le président du pays le plus vaste du monde, et moi qui ne suis rien, prenons un thé au lait ensemble à chaque fois que je vais à Moscou. Il est content parce que je lui apporte ce bruit de l’extérieur. C’est ainsi. Très tôt, par hasard et par nécessité, je me suis retrouvé face à des gens de pouvoir et je me suis vite rendu compte qu’en les considéran­t comme des hommes ordinaires, des mortels, on leur rendait service, tout en enrichissa­nt notre propre histoire.

Racontez-nous ce qui vous a poussé à écrire ce livre. Une course – encore une – contre la montre cette fois...

Depuis que j’ai vu un cheval se faire découper par des gens affamés dans le ghetto de Varsovie, j’ai toujours eu peur de la mort. Bien sûr, je n’y pense pas en permanence. Mais quand j’ai appris subitement que ma femme Clara, mon double, mon compagnon de lutte, était atteinte de la maladie de Parkinson, une maladie incurable, cette mort, que je rejetais par une agitation continue, s’est installée dans ma maison. Je ne suis pas pratiquant mais je pense qu’il y a quelqu’un qui nous regarde. Alors, m’adressant à ce quelqu’un, je lui ai dit : voilà je vais raconter notre histoire. Laisse Clara vivre le temps que je puisse lui lire les pages au fur et à mesure. Et celui qui nous regarde a respecté le contrat que je lui ai proposé. Quand j’ai eu fini d’écrire, Clara est morte. C’est d’ailleurs par cette phrase que se termine le livre. Je ne suis pas sûr qu’elle comprenait ce que je lui lisais, mais, aussi absurde que cela puisse paraître, j’ai vraiment eu l’impression que tant que j’écrirais elle resterait vivante.

Il y a tant d’optimisme dans votre récit, qu’on a l’impression que tout est possible.

Mais c’est la vérité et j’espère que mon histoire montrera à chacun de nous que nous pouvons faire des choses dans la vie. Chacun de nous peut descendre dans la rue. Chacun de nous peut mettre un gilet jaune. Chacun de nous peut dire aux casseurs : pourquoi vous faites ça ? Parce que je crois profondéme­nt que la parole est plus forte qu’une kalachniko­v. La parole est une vieille obsession. Une bataille que je mène auprès de tous les ministres de l’Éducation nationale que j’ai eu l’occasion de rencontrer. Je n’arrive pas à comprendre pourquoi, en France, on apprend à écrire aux gosses, mais pas à parler. Si les enfants de nos banlieues savaient parler, je suis persuadé qu’il y aurait beaucoup moins de voitures brûlées. Et puisque j’évoquais les «gilets jaunes», ils vont rester dans l’histoire car ils ont inventé quelque chose. Eux, les laisséspou­r-compte, ont compris qu’ils avaient tous dans la poche un moyen de communicat­ion et de production extraordin­aire : les téléphones mobiles. Qu’après, comme dans beaucoup de révolution­s, cela génère de la violence, c’était inévitable. Mais nous, les intellectu­els, n’avons pas été à la hauteur, car nous n’étions tout simplement pas présents sur les Champs-Élysées. Qui était là ? Les extrêmes bien sûr, et la télévision a aussitôt donné la parole à ceux qui savaient s’exprimer. C’est-à-dire ceux qui ont déjà milité au sein du Front national ou des différents groupes gauchistes.

Il est aussi beaucoup question de la paix au Proche-Orient. Vivezvous la situation actuelle comme un échec personnel ?

Ce n’est pas vraiment un échec. Il faut voir d’où on vient. Aujourd’hui, une partie du monde arabe a accepté Israël. En premier lieu l’Égypte, le plus grand pays arabe. La paix signée par Begin et Sadate tient toujours. Dans plein de pays arabes ou musulmans, Israël est accepté. Même par les Palestinie­ns, qui revendique­nt avec raison un État. J’en veux pour preuve le comporteme­nt de Mahmoud Abbas qui, à chaque crise, téléphone à Netanyahou. Il y aansou ans, cela était impensable.

Avez-vous pensé un jour vous installer en Israël ?

Non. Parce qu’après toutes mes pérégrinat­ions forcées, une fois en France, j’ai trouvé une culture, une langue qui m’a permis de m’exprimer, d’agir. Je ne me vois pas vivre ailleurs. Et puis je pense que le destin du peuple juif est très particulie­r. Depuis toujours les Juifs ont vécu simultaném­ent dans la diaspora et en Israël. Pendant longtemps, il y a eu plus de Juifs à Alexandrie qu’à Jérusalem. Cette coexistenc­e entre l’universel et le national est quelque chose de spécial. C’est ce qui a permis aux Juifs de survivre à travers l’histoire. Alors avouez qu’être représenta­nt de cette diaspora, ce n’est pas mal. (Rires).

Vous n’êtes pourtant pas tendre avec la France que vous qualifiez de raciste...

La France est un paradoxe, car elle est peut-être le pays le plus généreux du monde, mais aussi le plus raciste. Pas sur le plan formel, mais idéologiqu­e. Nous, Français, avons donné au monde l’idée d’un homme universel. Avec la proclamati­on universell­e des droits de l’homme, on a été les premiers à dire : quels qu’ils

Je ne me vois pas vivre ailleurs qu’ici ” La France est un paradoxe ”

soient, blancs, jaunes, noirs, juifs, les hommes sont tous les mêmes. Et là a commencé le problème. Car nous sommes peut-être tous égaux, mais nous ne sommes pas tous pareils. Voltaire, et son traité sur la tolérance, n’a pas compris pourquoi les musulmans et les juifs n’ont pas disparu en tant que tels alors qu’il leur a donné la possibilit­é de devenir des hommes universels. Du coup, il est devenu aussi bien raciste qu’antisémite. On oublie que l’homme fait partie de la société dans laquelle il vit mais est porteur aussi de ses traditions familiales, culturelle­s…

Votre ouvrage s’appelle Je rêvais de changer le monde. Pensezvous y avoir contribué ?

Je n’ai pas changé le monde (rires). Je ne peux pas prétendre le contraire. Mais je continue d’y croire. On ne sait jamais. Peutêtre ma voix, grâce à ce livre, à ceux qui vont en parler, va porter. J’espère. C’est pour ça qu’on écrit des livres. D’ailleurs, je me considère davantage comme un passeur, plutôt qu’un romancier. Quand je raconte des histoires, c’est pour faire passer des idées auxquelles je crois. Et pour que ces idées soient entendues il faut toute une chaîne de passeurs. C’est une boule de neige. Un livre ne fait pas de révolution, mais des livres ont suscité des révolution­s, ont joué un rôle important dans la prise de conscience des peuples, des groupes humains. Un livre ne transforme pas le monde mais…

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(DR)

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