Sur le port, entre match et gaz lacrymo
Retour sur les heurts qui ont éclaté samedi à Toulon, en fin de cortège, entre la police et des manifestants – certains peut-être pas Gilets jaunes. Dans le même temps, le match RCT – Edimbourg commençait dans un environnement tendu et un homme perdait un oeil, touché par un projectile dont l’origine n’a pas encore été déterminée.
« On paie la facture »
Ils ne s’attendaient pas à de telles échauffourées. À leur porte. Au pied d’un stade Mayol bunkérisé par des cordons de police, les bars et restaurants du port de Toulon ont moyennement apprécié l’arrivée des Gilets jaunes, en plus des écharpes rouge et noir. Samedi, vers 18 h, alors que le stade Mayol se remplissait de ses spectateurs, une demi-heure avant le match RCT – Edimbourg, l’avenue de la République se brouillait de gaz lacrymogènes. « Les gens étaient en terrasse. Nous, on avait le bar plein, explique David Ghilardi, l’un des patrons de La Tribune, au pied du stade. Les CRS ont chargé pour repousser les Gilets jaunes qui bloquaient l’avenue. Ça chauffait quand même. » Depuis le bar, on a vu « des jets de projectiles ». Et les choses ont dégénéré. Les gaz lacrymogènes ont fusé et soudain « vidé le bar ». Changement radical d’ambiance. D’où l’amertume du patron. « Sur le fond, je suis complètement d’accord avec eux. Mais si on a le droit de manifester, il faut aussi laisser les gens libres. Ne pas empêcher les autres de circuler et de travailler. » Voici la conclusion qu’il en tire : «Nous, les petits commerçants, on est étranglés. Et on paie la facture. » La manifestation était pourtant déjà passée par le port, en milieu d’aprèsmidi, « dans une ambiance super-conviviale, avec de bons échanges avec les manifestants. Je me suis dit, c’est bon, c’est passé. » Mais sur la fin, le cortège est revenu. Sur le front de mer, le patron du restaurant La Tulipe noire ne cache pas son indignation. « On s’est fait caillasser, on a reçu des pierres, des bouteilles, énumère Temime Teboulbi. Pour moi, ce ne sont pas des manifestants. On a fermé le rideau, l’établissement était plein, en terrasse et à l’intérieur.»
Les Français? «Des sauvages »
Dans cet autre fief des amateurs de rugby, les clients sont restés, mais « ils ont été choqués ! C’étaient des Anglais, explique-t-il fièrement. Mais quand ils parlent de nous, ça me fait honte ». Et qu’ont dit ces supporters de GrandeBretagne ? « Qu’on est des sauvages ! Ils comprennent qu’on ait le droit de manifester, mais pas qu’on puisse être caillassé dans un bar.» Peu après 18 h, l’ambiance s’est encore détériorée. Tout au bout de l’avenue, en allant vers la station essence. C’est là que se trouvait Bérénice, 21 ans, qui était venue manifester pour la première fois parmi les Gilets jaunes. « J’étais en première ligne devant les flics. On a reculé. Les CRS ont chargé. Ils sont arrivés au niveau du rond-point, côté port.» C’est dans ce moment-là, un peu après 18 h, qu’un homme a été violemment blessé à l’oeil. Lundi soir, le parquet de Toulon n’avait pas d’indication supplémentaire sur l’origine de cette blessure. Opéré dans le weekend, le blessé, un Seynois de 35 ans, a perdu un oeil. Une blessure gravissime et invalidante. Cet homme a reçu des premiers soins, couché par terre, dans le périmètre de la station essence. Puis Samu et pompiers sont arrivés.
Hypothèses
À ce stade de l’enquête, et alors que le blessé n’a pas encore pu être entendu vu son état de santé, « plusieurs hypothèses sont possibles», indique le procureur de la République Bernard Marchal. Il n’est donc pas encore établi, si un tir de flash-ball, ou bien d’un projectile d’une autre nature, est la cause de la blessure. De même, en attendant l’audition du blessé, normalement ce mardi, il est difficile de savoir avec certitude si cet homme manifestait avec les Gilets jaunes, ou bien ne faisait que passer, comme l’affirment avec force ses proches. «Ce n’était plus une manifestation, c’était un affrontement», concède Bérénice. Pourquoi n’est-elle pas partie, alors? « J’ai vu les policiers charger, tirer des gaz lacrymo. Ma compagne a été blessée à la nuque. Quand on voit ça, on a envie de crier plus fort. » Les derniers manifestants se sont dispersés après le transfert du blessé grave à l’hôpital. Dans une grande confusion.