De à : ans de doléances inassouvies
Les Gilets jaunes étaient encore dans la rue ce samedi. Revendiquant plus de pouvoir d’achat, moins d’inégalités. Un peu à la façon de nos ancêtres qui, en 1789, avaient aussi rassemblé leurs doléances
Plus de justice sociale. Plus de justice fiscale. Voilà, à la louche, ce que réclament les Gilets jaunes. Il y a 230 ans, alors que les Français s’apprêtaient à prendre la Bastille, on en était déjà là. Depuis novembre dernier, les Gilets jaunes sont eux-mêmes les premiers à faire la comparaison avec la révolution de 1789. Ceux de Toulon ont même mis en place, depuis le 8 décembre – donc bien avant qu’Emmanuel Macron ne lance son Grand débat – des cahiers de doléances, salle Méditerranée. Dans ceux mis en place par le gouvernement dans certaines mairies (lire ci-contre), on trouve même des mentions aux airs de révolution : « La royauté, c’est fini », peut-on lire à La Garde ; « Changer la monarchie présidentielle »;« Le président de la République a plus de pouvoir que les rois de l’histoire de France »;« Le peuple n’en peut plus. Attention : révolution. »
Train de vie de l’État
En récupérant, dans les archives de la sénéchaussée de Toulon (lire ci-dessous), les doléances de 1789 en bord de rade et en les mettant face aux doléances actuelles, on a voulu savoir jusqu’où tenait la comparaison. À l’époque, les doléances, ensuite envoyées au pouvoir central, étaient présentées en articles regroupés par chapitre : constitution, législation, clergé, administration, commerce, Marine et guerre. On y trouve des thèmes parfaitement d’actualité. En tête : des questions fiscales. Ainsi, l’article 4 du chapitre « Constitution » prévoit « l’égalité dans la répartition des impôts entre les citoyens de tous les ordres sans distinction ». L’article précédent insiste sur le train de vie de l’État, souhaitant que l’« impôt ne [puisse] être accordé [...] qu’après connaissance détaillée [...] de la situation des finances et des besoins de l’État ». Au chapitre « Administration », l’article 2 réclame d’ailleurs la « publicité [...] de l’état actuel des finances ».
Haro sur les péages
Dans ce même chapitre et toujours concernant l’impôt, l’article 21 invite à la « suppression du piquet et des autres impôts sur les comestibles ». Traduit en version 2019, ce pourrait être la revendication récurrente de baisser la TVA sur les produits de première nécessité. Encore plus précis, l’article 19 du chapitre « Commerce » revendique la « suppression des péages établis sur les routes et rivières ». Difficile de ne pas faire le rapprochement avec les occupations de péages, à l’instar de celui de Bandol, par les Gilets jaunes qui en faisaient le symbole de l’enrichissement des grandes entreprises et de leurs actionnaires. La question de l’équité est d’ailleurs, déjà à l’époque, prépondérante. Au chapitre « Législation », article 3, on lit par exemple qu’il faut « abolir entre la noblesse et le tiers état toute distinction dans les châtiments ». Fin des privilèges en somme. Une autre revendication qui trouve écho dans les cahiers de doléances de 2019.
La tête à Macron
En effet, dans les pages lues en mairie de La Garde ou salle Méditerranée à Toulon, il est régulièrement question dela« réduction du train de vie des élites », celles-ci étant souvent assimilées aux politiques. Ainsi, les revendications portent de façon récurrente sur « la fin des avantages des anciens présidents », sur« la réduction du nombre de députés », ou encore, carrément, sur « la suppression du Sénat ». Dans le même registre, alors que de nombreux Français réclament la fin du cumul des mandats, déjà en 1789, l’article 4 du chapitre « Administration » préconisait l’« incompatibilité de plusieurs places sur une même tête ». En parlant de tête, les Gilets jaunes continuent de réclamer celle du président de la République. S’ils finissaient par obtenir gain de cause – au sens figuré bien sûr – et provoquaient un changement institutionnel radical, la comparaison entre le passé et le présent n’en serait que plus prégnante. Mais ça, seul le futur le dira.