Manon Aubry : « On parle d’un projet de société »
La jeune Varoise à la tête de la liste insoumise aux européennes estime que la meilleure réponse aux colères serait une dissolution de l’Assemblée. Et elle décline sa vision d’une Europe plus juste
Voici quelques semaines encore, elle travaillait au sein de l’ONG Oxfam, qui lutte contre les inégalités et la pauvreté, sur les questions d’évasion fiscale en particulier. A 29 ans, la Fréjusienne Manon Aubry, diplômée de Sciences Po, a été bombardée tête de liste de La France insoumise aux européennes. Une liste sur laquelle figure également sa maman Catherine, ancienne journaliste à Varmatin. Entrée en militantisme dès le lycée, à Saint-Raphaël où elle a croisé le fer avec l’actuel maire RN de Fréjus David Rachline, la jeune femme, réputée bosseuse et rarement à court de répartie, s’est montrée à l’aise lors de ses premières apparitions publiques. Elle tient, dit-elle, à faire de la politique « en gardant sa spontanéité, avec coeur et sincérité, sans chercher forcément la petite phrase qui fera mouche ».
Votre regard sur le monde politique a-t-il changé depuis votre désignation en décembre ?
Je me suis écrit une lettre à moimême avec les lignes rouges que je ne veux pas franchir, pour ne jamais m’écarter des raisons de fond pour lesquelles je me suis engagée en politique, la lutte contre le changement climatique et l’évasion fiscale, en particulier. J’y ai noté aussi tous les travers dans lesquels je ne veux pas tomber, pour ne pas être déconnectée de la vraie vie. J’avais donc conscience de ces difficultés-là… Mais c’est une chose d’en avoir conscience, c’en est une autre de les vivre. Même si je m’y attendais, le fait d’être sans cesse ramenée à Jean-Luc Mélenchon, d’avoir sans cesse à commenter des petites phrases et si peu d’espace pour parler du projet politique, est très frustrant. Je pensais naïvement que la politique était un débat d’idées, mais assez peu en fait. Cela me fait mieux comprendre le rejet qu’elle suscite dans une bonne partie de la population.
La France insoumise n’a-t-elle pas participé à cette théâtralisation de la vie publique, à l’Assemblée nationale notamment ?
L’Assemblée nationale, c’est vrai, a cédé à une forme de théâtralisation, dans la mesure où elle est devenue une chambre d’enregistrement, et non de débat. Quand la majorité s’empresse de rejeter, sans qu’il y ait discussion, des propositions de La France insoumise, cela conduit forcément à une théâtralisation. La seule issue serait de changer de système parlementaire, pour que le rôle des députés soit renforcé. Aujourd’hui, le manque de souveraineté populaire a généré une théâtralisation des débats, puisqu’il ne reste plus que cela pour se faire entendre. Cette théâtralisation est, aussi, le fait du fonctionnement médiatique actuel. On a très peu de temps pour faire du fond. Du coup, on assiste à un ping-pong dont on ne garde que la forme au détriment du fond.
Vous assimilez le Grand Débat à une tentative d’entourloupe. Pourquoi ?
Sur le principe, que ce soit clair, nous sommes bien évidemment favorables au débat. La difficulté actuelle est que les questions sont choisies par le Président. Pour répondre au référendum d’initiative citoyenne, il cogite un référendum d’initiative présidentielle. Les questions du Grand Débat sont trop étroites : à aucun moment n’est posée la question du partage des richesses, de la justice fiscale pour faire payer davantage les plus riches ou les grandes entreprises, ou encore de la restauration de l’ISF contre l’évasion fiscale. Dès lors que le cadre est trop contraint, les réponses qui en ressortent ne peuvent coïncider avec les aspirations populaires. Ce n’est pas un hasard si Chantal Jouanno a dénoncé une opération de communication politique. Tout cela ressemble davantage, au final, à une campagne électorale. Dans un débat, la ministre de la Santé a même appelé à voter pour la liste LREM aux européennes. On assiste à une confusion des genres.
Faut-il un référendum, malgré tout ? Sur quelles questions ?
Pourquoi pas un référendum, mais encore une fois à condition que les questions posées répondent aux attentes des citoyens et du mouvement social. Par exemple : êtes-vous pour ou contre le rétablissement de l’ISF ? Pour ou contre la baisse de la TVA sur les produits de première nécessité ? Pour ou contre une plus grande progressivité de l’impôt sur le revenu, en passant de cinq à quatorze tranches ? Pour ou contre l’augmentation du Smic à euros (qui pourrait être financée par une remise en cause du CICE) ? Pour ou contre le référendum d’initiative citoyenne ? En précisant de quel type, législatif, constituant ou révocatoire. En réalité, on voit bien que c’est d’un projet de société dont on parle aujourd’hui et que le mieux serait d’en débattre dans le cadre de législatives, après une dissolution qui serait la meilleure issue démocratique au mouvement social actuel.
Si référendum il y a, faut-il le coupler aux européennes ?
Dans l’hypothèse où le référendum répondrait aux questions des citoyens, ce qui me paraît mal barré puisqu’Emmanuel Macron n’entend rien lâcher sur l’ISF, par exemple, l’organiser en même temps que les européennes risquerait de noyer les enjeux européens, ce qui manquerait de cohérence de la part du Président.
Estimez-vous, comme certains à gauche, que le gouvernement a pris un tournant liberticide ?
Oui, et extrêmement grave. La loi anticasseurs est une atteinte très sévère aux libertés, en donnant la possibilité à un préfet d’interdire de manifester sans fait préalable. Tout le monde est vent debout contre cette loi, de nombreuses associations, mais aussi le député de droite Charles de Courson.
Votre différence avec les autres partis de gauche sur l’Europe ?
Le point de divergence principal est notre vision des traités européens, même si les députés européens n’ont pas le pouvoir de les changer. Nous pensons qu’à traités européens constants, une politique en faveur du progrès social, écologique et fiscal s’avère impossible. Nous sommes les seuls à remettre en cause les traités européens actuels. Ils empêchent l’harmonisation sociale et fiscale, l’investissement massif dans la transition écologique, le protectionnisme solidaire pour protéger nos industries européennes. En matière fiscale, par exemple, aucune décision ne peut être prise sans l’unanimité des Etats membres. Le résultat est que l’Union a dressé une liste ridicule des paradis fiscaux. Elle ne compte aucun paradis fiscal notoire, ni les îles Caïmans, ni Jersey, ni l’Irlande, ni le Luxembourg…
Que proposez-vous en matière migratoire et de frontières ?
Aujourd’hui, les frontières de l’UE sont devenues une sorte de tombeau. Il faut d’abord faire en sorte que les migrants ne mettent plus leur vie en péril pour accéder à nos côtes. Pour cela, il importe de revoir le rôle de Frontex, qui ne permet pas actuellement d’assurer la sécurité des migrants. Nous refusons la militarisation de la politique de contrôle des flux migratoires. En même temps, nous voulons lutter contre les causes de l’exil en revoyant notre politique de libreéchange, dont nous pensons que les conséquences économiques sont payées par les pays pauvres, et notre politique d’intervention dans les zones de guerre. C’est une approche qui marche sur ses deux jambes, pour ouvrir les conditions d’accueil aux personnes qui arrivent aux portes de l’Union européenne, tout en oeuvrant pour qu’elles n’aient plus à vivre ce parcours-là.
Vos propositions sociales ?
Vaste sujet ! Prenons deux exemples. Sur les travailleurs détachés, nous proposons qu’à travail équivalent soient ouverts les mêmes droits. Nous sommes pour la révision de la directive sur les travailleurs détachés. Le fait qu’ils n’aient pas les mêmes droits crée du dumping social, pénalisant pour les travailleurs étrangers comme français. Nous proposons ensuite la création d’un Smic européen, à hauteur de % du salaire médian. L’idée est de stopper la course vers le bas en instaurant un niveau minimum de protection.
Les questions sont choisies par le Président” La création d’un Smic européen”
Et en matière écologique ?
Nous voulons % d’énergie renouvelable d’ici à , ce qui demande un investissement massif dans la transition écologique et des objectifs clairs et ambitieux au niveau européen. Deuxième proposition, un plan européen de rénovation thermique, car les problèmes d’isolation sont l’une des premières causes de pollution. La question clé étant celle du financement de la transition écologique, qui réclame des engagements élevés. Manon Aubry animera deux réunions publiques dans les Alpes-Maritimes, mercredi 20 février à Grasse, à 19 h 15 salle polyvalente Saint-Jacques, chemin des Chênes, puis jeudi 21 février à Nice, à 19 h 30 à l’hôtel Splendid, boulevard Victor-Hugo. Sa mère Catherine Aubry animera quant à elle, avec Sonia Naffati, une réunion dès ce vendredi 15 février à 19 h, salle du stade Léon-Bérenger à Saint-Laurent-du-Var.