Var-Matin (La Seyne / Sanary)

“#MeToo, la montagne qui accouche d’une souris” Saint-Raphaël

Ex-secrétaire d’État, essayiste, Jeannette Bougrab interviend­ra dimanche aux Rencontres de l’avenir sur deux thèmes : “le féminisme” et “la nation et le nationalis­me”

- PROPOS RECUEILLIS PAR PIERRE PANCHOUT

Docteur en droit public, membre du Conseil d’État, présidente de la Haute autorité de lutte contre les discrimina­tions et pour l’égalité (Halde) puis secrétaire d’État sous la présidence de Nicolas Sarkozy, Jeannette Bougrab est aujourd’hui chef du service d’action culturelle à l’ambassade de France en Finlande. Celle qui a publié cette année Lettre aux femmes voilées et à ceux qui les soutiennen­t sera ce week-end au Palais des congrès dans le cadre des Rencontres de l’avenir.

Selon vous, où en est le féminisme en  ?

Je fais partie de celles qui sont désenchant­ées par la tournure des événements en France. Quand on sait qu’en Iran, des femmes sont condamnées à plusieurs années de prison pour ne pas avoir porté le voile, je trouve qu’il y a de l’égarement chez un certain nombre de femmes qui se disent féministes et défendent cet objet – qui est pour moi la négation même de l’égalité entre hommes et femmes.

De l’égarement ?

L’égarement, c’est de ne pas porter les causes qui sont vitales. Quand il y a toujours une femme qui meurt tous les deux jours sous les coups de son conjoint dans notre pays. Quand des filles comme Adèle Haenel (qui accuse d’attoucheme­nts le réalisateu­r Christophe Ruggia N.D.L.R.), décide de ne pas porter plainte parce que “ça ne sert à rien”. Quand il y a toujours  % d’écart dans les salaires. Quand le débat porte sur la féminisati­on des mots, il y a de l’égarement. On meuble pour masquer le fait qu’il n’y a pas d’action.

#MeToo n’a-t-il pas fait passer un cap à l’opinion publique ?

Au quotidien, les femmes continuent d’être battues, harcelées dans les transports en commun, sans que personne ne réagisse. Je pense qu’il faudra plus de temps pour que les choses changent. Aujourd’hui, il y a une distorsion entre les discours et la réalité.

Le mouvement est donc davantage un pétard mouillé qu’un séisme ?

Toute parole libérée est la bienvenue, mais je ne pense pas qu’il s’agisse d’un séisme. Parce que quand il s’agit d’aller porter plainte, d’engager une procédure, c’est un parcours du combattant et ça ne débouche sur rien la plupart du temps. #MeToo, c’est un emballemen­t médiatique, une montagne qui a accouché d’une souris... et c’est pire. Parce qu’on promet de l’améliorati­on alors qu’en réalité, il n’y a rien. Je pense que c’est se donner bonne conscience que de penser que les choses ont véritablem­ent changé.

Que va apporter le Grenelle des violences faites aux femmes selon vous ?

Sincèremen­t, c’était annoncé comme l’une des grandes causes du quinquenna­t par le candidat Macron, mais les résultats ne sont pas là. En , les chiffres sont pires qu’en  !

Chaque semaine, le nombre de féminicide­s croît et la justice semble, en effet, impuissant­e. Que faut-il faire ?

C’est terrible à dire, mais le problème est financier. Quand on nous présente en grande pompe les crédits affectés à la police, on fait croire qu’il y a un budget colossal consacré à la lutte contre les violences faites aux femmes et à la promotion des égalités... mais la réalité est tout autre. Le Conseil de l’Europe vient d’ailleurs d’épingler la France pour ses lacunes en la matière. Pourtant, nous avons tous les outils entre les mains pour faire en sorte qu’une femme qui a porté plainte, et dont le mari est sous contrôle judiciaire, ne meure pas sous ses coups. Ironiqueme­nt, le fait d’en être encore au stade des colloques et des conférence­s est un aveu d’échec.

Sur le chemin de l’égalité femmes-hommes, où en est-on ?

Sincèremen­t, je pense qu’il y a un recul. Là où, dans les années soixante, des femmes se sont battues pour leur émancipati­on, pour travailler, avoir un compte bancaire, avoir le droit de divorcer... les filles de ces femmes-là s’associent à des gens qui veulent reléguer les femmes à une situation d’infériorit­é ! Cette vision m’est sans doute personnell­e, en tant que fille de harki. Quand j’entends des femmes de  ans me dire que c’est formidable de porter le voile, qui militent avec des imams prônant un islam conservate­ur, je trouve que c’est une forme de folie. Ailleurs, des femmes risquent leurs vies pour s’en débarrasse­r...

Mais cela ne représente qu’une minorité de personnes dans la société française...

Oui, mais elle est extrêmemen­t présente médiatique­ment. Quand je vois des femmes comme Clémentine Autin [députée La France insoumise en Seine-Saint-Denis N.D.L.R.] qui manifeste avec des imams ayant dit les pires horreurs sur les femmes, ça m’effraie.

Dimanche, vous aborderez aussi le thème de “la nation et le nationalis­me”. Que vous inspire la montée de ces idées dans le monde, et en France ?

C’est l’échec de nos démocratie­s. Je ne pense pas qu’on soit dans la même situation que celle qui a conduit à la Seconde Guerre mondiale. Mais je pense que cela est dû au retour des grands états-nation avec les États-Unis, la Chine et même la Russie, bien qu’elle soit une puissance économique moindre. À ce petit jeu, l’Europe et la France sont dans l’incapacité de s’imposer. Nous sommes peu de chose quand on n’arrive pas à protéger les Kurdes, nos alliés dans la lutte anti-terroriste, du massacre orchestré par la Turquie. À ce moment-là, rien d’étonnant à ce qu’on se dise : “mais mon dieu, qu’est-on devenu ?”. Et c’est cette faiblesse, cette insécurité culturelle, qui conduit selon moi à se tourner vers le nationalis­me. Tant qu’elle se sentira coupable d’être ce qu’elle est, la France sera faible à l’extérieur comme à l’intérieur.

La France a un problème avec elle-même ?

La France a un problème avec ses valeurs. C’est aussi ça le problème. Les Américains ne s’excusent pas d’être Américains, ils entonnent leur hymne la main sur le coeur, comme un seul homme. Et pourtant, c’est une nation faite d’immigrés ! Chez nous, La Marseillai­se est sifflée. Il y a un problème de cohésion dans notre société. Pour reprendre sur le voile : défendre notre vision n’est pas rejeter telle ou telle culture. On a le socle des Droits de l’Homme et du citoyen, mais il y a cette volonté d’être à géométrie variable au nom d’un communauta­risme.

Votre réaction au débat sur le voile qui s’est récemment cristallis­é sur son port par des accompagna­nts scolaires ?

Le comporteme­nt de cet élu est détestable et irrespectu­eux, mais la laïcité implique la neutralité de l’État, des services publics et des agents. Lorsqu’on est accompagna­nt en sortie scolaire, ce n’est pas la même chose que lorsqu’on rentre dans l’école pour chercher son enfant. Les mamans qui sont dans ce cas participen­t à une activité pédagogiqu­e. Donc je suis contre. On ne peut, au nom d’une croyance, renier les lois de la République.

ppanchout@nicematin.fr ◗ Conférence­surl’avenirdufé­minisme :dimanche de 10 heures à 11 heures. ◗ Conférence sur l’avenir de la Nation et du nationalis­me : dimanche de 11h15 à 12h15. ◗ Conférence­s au Palais des congrès, gratuit sur réservatio­n au 04.98.11.89.00

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(Photo DR) Jeannette Bougrab défend sa conception du féminisme.

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