Var-Matin (La Seyne / Sanary)

David Lisnard : « On a trop soviétisé le territoire »

Le maire LR de Cannes, vice-président de l’Associatio­n des maires de France, demande à l’Etat de réduire sa tutelle sur les communes, pour leur laisser davantage de marge de manoeuvre

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Vice-président de l’Associatio­n des maires de France, David Lisnard n’a été que modérément convaincu par le message délivré, mardi soir, par Emmanuel Macron aux maires de France réunis en congrès à Paris. Le maire LR de Cannes, qui regrette la suppressio­n de la taxe d’habitation, incite l’Etat à laisser les collectivi­tés locales plus libres d’innover, en relâchant son garrot administra­tif.

Le discours tenu mardi aux maires par Emmanuel Macron ?

Il avait prononcé un discours similaire il y a deux ans. Il a fait état des mêmes intentions. Mais nous avons, depuis, perdu deux ans. Il faut désormais passer aux actes. Tout reste à écrire. Il ne faut pas être manichéen, mais le chef de l’Etat a prononcé un long discours, sans rien quasiment de concret. C’était surtout une opération de déminage. Nous n’avons pas besoin de câlins. Ce que l’on veut, c’est de la clarté pour construire un contrat équilibré entre l’Etat et les mairies. Malheureus­ement, le phénomène de recentrali­sation est toujours à l’oeuvre et il nuit à l’efficacité de l’organisati­on publique de la France. Il faut chercher la modernité et l’efficacité dans la gestion des services publics et sortir de la néo-tutelle de l’Etat, qui surenchéri­t toutes les procédures et entrave la prise de décision. Ce que demandent les maires, c’est plus de liberté d’action a priori, avec plus de contrôles a posteriori pour ceux qui ne respectera­ient pas les dispositio­ns d’ordre public.

Le transfert aux communes de la part de la taxe sur le foncier bâti jusqu’ici perçue par le Départemen­t, pour compenser la taxe d’habitation, c’est un moindre mal pour les maires ?

La suppressio­n de la taxe d’habitation prive les communes de  milliards de fiscalité. L’Etat assure qu’il rembourser­a à l’euro près mais, dès la loi de finances , ce ne sera pas le cas dans nombre de communes, du fait d’une désindexat­ion sur l’inflation. Ces  milliards, ce sont des financemen­ts de routes, d’écoles, de policiers municipaux, de politiques sociales communales. Ce débat est fondamenta­l. Je pense que la suppressio­n de la taxe d’habitation est une erreur majeure. Lever l’impôt crée de la responsabi­lité, oblige à rendre des comptes. L’Etat est parti dans une logique du chaos, en voulant affecter ensuite une part de TVA aux départemen­ts, pour compenser leur propre perte. C’est la solution disons… la moins mauvaise. Il y a en France trop d’impôts et de taxes, mais le problème est que l’Etat demande aux autres les efforts qu’il ne s’applique pas à lui-même. Il faut garantir les recettes des communes. C’est toutefois un comble de nationalis­er un impôt en le plaçant dans le giron du parent malade de la fonction publique qu’est l’Etat, qui continue d’emprunter pour son fonctionne­ment. Dans une mairie, comme dans une entreprise, personne n’a le droit de faire ça ! On va de surcroît assister à une prime aux mauvais élèves, aux maires qui ont augmenté leur fiscalité, au détriment de ceux qui ont fait preuve de sobriété. La taxe d’habitation constitue un lien entre les habitants et leur territoire et cet un impôt qui n’est pas si injuste que cela, puisqu’il dépend de la valeur locative du bien. Les plus modestes, de plus, bénéficiai­ent de dégrèvemen­ts, voire d’exonératio­ns totales. L’Etat, qui est déjà surendetté, ne pourra jamais injecter  milliards et on verra, à terme, ressurgir de nouveaux impôts.

La baisse des dotations aux communes, avant Macron, n’a-t-elle pas eu un effet positif, en incitant les maires à mieux cadrer leurs budgets ?

Cet effort avait été engagé par les maires bien avant les baisses de dotations. Il y a trente ans, la dette des communes représenta­it  % de la dette publique globale du pays. Aujourd’hui, ce n’est plus que , %. Et c’est une bonne dette, tournée vers l’investisse­ment. Il faut quand même rappeler que les dotations ne sont pas des subvention­s : elles sont liées à des transferts de charges. C’est un dû, pas un don. Les collectivi­tés auraient mieux accepté la baisse des dotations si l’Etat lui-même s’était assaini. Ce qui est exaspérant, c’est que le donneur d’ordres, l’Etat, ne respecte pas ce qu’il impose aux autres, en empruntant pour son fonctionne­ment et en augmentant son déficit, qui sera passé de  milliards en  à plus de  milliards en . On est en train de construire

David Lisnard au Congrès des maires, hier à Paris.

des bombes à retardemen­t pour les génération­s futures, le jour où les taux d’intérêt reviendron­t à leur valeur réelle. Structurel­lement, il y a un laxisme d’Etat depuis les crises pétrolière­s de , et plus encore depuis . Il faut aujourd’hui une politique nationale d’assainisse­ment des comptes publics, non pour avoir une vision comptable des choses, mais pour préserver les génération­s à venir. On peut faire du bon service public au juste prix.

La loi  D (déconcentr­ation, différenci­alisation et décentrali­sation) qui arrive va dans votre sens, non ?

Un nouvel acte de décentrali­sation est nécessaire. Nous attendons de voir ce qu’il va en sortir. Mais il ne faut pas tomber dans les plans comme dans les années cinquante. Les maires ne demandent pas l’aumône, juste la capacité d’agir sans être entravés a priori .Cene sont pas des plans verticaux d’un Etat malade qui vont relancer une dynamique territoria­le. La véritable dynamique est aujourd’hui celle des entreprise­s, des communes, des habitants. Je suis ainsi obligé de me battre pour installer des panneaux solaires sur le toit du local de traitement des déchets de l’île Sainte-Marguerite. L’Etat nous fait perdre deux ans en nous demandant sans arrêt des études et des réétudes. Dans ces D, il

faut que l’Etat édicte de grandes règles de politique nationale, en laissant ensuite les communes agir. Mais Emmanuel Macron est quand même très centralisa­teur. Aujourd’hui, la modernité est dans le fait local, parce que c’est un circuit décisionne­l court. On a trop soviétisé le territoire. Pour faire un nouveau skatepark sur un vieux site classé à Cannes, j’ai aujourd’hui besoin d’une autorisati­on ministérie­lle. On marche sur la tête, on perd du temps et de l’argent ! L’Etat doit passer, avec les mairies qui sont l’échelon de la vie et de la proximité, d’une approche paternalis­te à une approche contractue­lle. La proximité crée la responsabi­lité, qui elle-même crée l’efficacité. Mais pour être responsabl­e, il faut être libre d’agir. On ne demande pas l’aumône, juste qu’on nous laisse prendre des décisions, y compris en matière fiscale.

On entend désormais beaucoup de discours remettant en cause les bienfaits des métropoles, vantées comme une panacée il y a dix ans…

Il faut éviter de penser qu’il existe une solution miracle en matière d’organisati­on et laisser aux territoire­s la liberté de se réunir, ou pas. Ce n’est pas parce qu’une organisati­on est grande qu’elle est forcément plus performant­e. Ça peut-être le cas sur certaines problémati­ques, mais c’est faux sur d’autres. En entreprise, ce débat est dépassé depuis trente ans, on y crée des entités locales pour que la créativité puisse s’exprimer. Autrement, l’URSS existerait toujours et la Corée du Nord serait un paradis. Il ne faut pas que les métropoles soient un « machin » de plus, mais répondent à des objectifs librement consentis. Dans l’ouest des Alpes-Maritimes, nous avons créé un Pôle métropolit­ain qui génère zéro administra­tion, zéro fiscalité, zéro dépense et qui n’est qu’un élément pour regrouper des projets communs et permettre de réaliser des économies, sur la base du volontaria­t. Il faut, en fait, appliquer le principe de subsidiari­té : chercher d’abord à régler le problème à l’échelon le plus proche des habitants. Et, uniquement si ce n’est pas possible, monter à l’échelon supérieur. Oui à l’intercommu­nalité, mais non à la supracommu­nalité, qui détruit la démocratie locale et l’initiative.

Les dotations ne sont pas des subvention­s. C’est un dû, pas un don”

Ubu et Kafka ont fait des gosses”

Quelles sont les principale­s actions que les communes peuvent impulser en matière de transition écologique ?

Il y a beaucoup d’initiative­s dans les communes. A Cannes, nous avons installé, il y a cinq ans, six agriculteu­rs intra muros. Ce qui a permis de renforcer les circuits courts, de lutter contre l’imperméabi­lisation de sols, etc. Nous allons aussi utiliser les eaux traitées de la station d’épuration pour arroser les golfs et nettoyer la voirie. Mais là encore, j’attends toujours une autorisati­on du ministère de la Santé : Ubu et Kafka ont fait des gosses et on les rencontre tous les jours dans l’exercice de nos mandats. Nous avons également imposé des règles draconienn­es aux bateaux de croisière qui mouillent en baie de Cannes pour réduire leur pollution, lancé un plan d’isolation sur tous les bâtiments communaux, réduit de  % la consommati­on électrique, tout en éclairant mieux nos bâtiments… Nous avons installé des nurseries à poissons, un robot nettoyeur dans le port. Il existe quantité d’exemples de ce type dans les communes de France, qui n’ont pas attendu les débats actuels pour bâtir une écologie positive.

PROPOS RECUEILLIS PAR THIERRY PRUDHON

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