Var-Matin (La Seyne / Sanary)

Exclusif : le pacha du Charles-de-Gaulle s’explique

Depuis le retour à Toulon du Charles-de-Gaulle, le capitaine de vaisseau Guillaume Pinget ne s’était pas encore exprimé publiqueme­nt. Après trois semaines de confinemen­t, il sort enfin de son silence

- PROPOS RECUEILLIS PAR PIERRE-LOUIS PAGÈS plpages@varmatin.com

Désormais 98 % des marins du Charles-de-Gaulle sont guéris. Vous-même, comment vous sentez-vous ? Avez-vous été infecté par le Covid-19 ? Aujourd’hui, je suis heureux d’annoncer la sortie des derniers marins confinés, dont je fais partie parce qu’effectivem­ent j’ai été touché par cette maladie. J’ai une pensée particuliè­re pour les derniers malades, dont nos deux camarades qui sont encore hospitalis­és à l’hôpital SainteAnne, ici à Toulon. Et puis j’ai aussi une pensée particuliè­re pour tous nos marins qui ont pu enfin rentrer chez eux retrouver leurs familles. C’est un moment qu’ils attendaien­t. Je suis heureux pour eux. Il y a encore quatre marins symptomati­ques ici avec moi et les autres vont rentrer d’ici le week-end.

Comment avez-vous vécu ce retour précipité à Toulon et les trois semaines de confinemen­t qui ont suivi ?

C’est une situation inédite et éprouvante pour les marins et pour l’équipage. Ce qui m’a marqué, c’est la mobilisati­on exceptionn­elle de tous les services de soutien pour accompagne­r les marins du porte-avions. C’est une mobilisati­on extraordin­aire du Service de santé des armées, de la base de défense de Toulon, mais également de celle d’Istres qui est venue en soutien, de nos camarades de l’armée de Terre, du 519 Groupe de transit maritime de Toulon, du 2 régiment de Dragons, de l’armée de l’Air qui a transporté les marins résidant en Bretagne. Mais aussi un grand nombre d’associatio­ns qui ont fait preuve de solidarité avec nos marins pour les accompagne­r pendant cette période de confinemen­t et adoucir les conditions de ce séjour. Pour moi, dans la situation particuliè­re que ça représenta­it, on a continué à avoir une vie d’équipage, on a eu beaucoup d’échanges entre marins et ça m’a permis de découvrir mes marins dans un autre cadre. Ces échanges très riches entre nous ont été un moment très intéressan­t à vivre en équipage. Il y a de très belles mobilisati­ons de nos marins en termes d’engagement, de solidarité. Je suis très fier d’eux, de leur comporteme­nt dans cette épreuve.

Avez-vous ressenti la pression médiatique ? Politique ?

Oui, la pression médiatique a été très forte. Ça fait partie du porteavion­s. C’est un bateau tellement connu et auquel les Français sont attachés. Mais cet emballemen­t médiatique soudain a été un peu plus difficile à supporter pour moi et mon équipage. C’était de nature aussi à inquiéter les familles. Et donc moi, j’ai eu le souci d’entretenir cette communicat­ion avec ces familles pour les rassurer, d’accompagne­r les marins et leurs familles dans cette situation inédite qu’on est en train de vivre.

Au moins deux enquêtes ont été ouvertes pour tenter de comprendre ce qu’il s’est passé. Avez-vous été interrogé ?

Bien entendu. Ces enquêtes me concernent, elles concernent l’équipage, le bateau. Je ne peux pas être juge et partie, mais globalemen­t j’attends beaucoup des résultats de ces enquêtes pour comprendre comment l’épidémie s’est propagée et avoir des réponses aux questions que je me pose. Et surtout pour en tirer des leçons pour préparer la reprise d’activité à la mer. De mon côté, j’ai tout mis en oeuvre pour lutter contre la propagatio­n de ce virus en l’état des connaissan­ces du moment. Tous les moyens ont été utilisés pour prévenir la propagatio­n de l’épidémie.

Redoutez-vous les conclusion­s de ces enquêtes ?

Quand on est commandant du porte-avions, on prend la responsabi­lité d’un équipage et d’un bâtiment. C’est ce qui guide mon action. Aujourd’hui, l’équipage est presque totalement guéri avec l’attention que je garde pour ceux qui sont encore à l’hôpital. Et le bâtiment a été entièremen­t désinfecté. Les avions ont également été désinfecté­s. On revient à une situation normale pour être prêt à réappareil­ler si la situation le nécessitai­t.

Est-on sûr que le virus est monté à bord lors de l’escale de Brest ?

Je n’ai pas connaissan­ce des conclusion­s de l’enquête épidémiolo­gique. Elles permettron­t d’apporter un éclairage sur ce point. Ça fait partie des causes plausibles, mais je n’ai pas plus d’informatio­ns.

On a entendu beaucoup de choses au sujet de cette escale. Quelles étaient les consignes que vous avez données à l’équipage ? Ont-elles été respectées ?

Cette escale, il faut aussi la replacer dans les conditions du moment. Le 13 mars à Brest, on est encore au stade 2 de l’épidémie, avec des clusters. La France n’est pas encore confinée puisque le Président annonce le confinemen­t le 16 au soir, le jour où on est partis de Brest, pour prendre effet à partir du 17 Il faut remettre tous ces éléments en perspectiv­e. Mais bien entendu, ce risque Covid-19 pour l’escale de Brest avait fait l’objet d’une attention toute particuliè­re. Une série de mesures avaient été prises à la fois par l’autorité militaire territoria­le et par le commandeme­nt du porteavion­s à bord. Elles s’étaient déclinées en briefings, en consignes particuliè­res avant l’escale, pendant l’escale, après l’escale. À ma connaissan­ce, ces mesures ont été respectées, même si je n’ai pas mis quelqu’un pour surveiller chacun de mes deux mille marins en ville. Mais, globalemen­t, je n’ai pas eu connaissan­ce d’infraction aux consignes qui avaient été données pendant cette escale.

Avez-vous oui ou non demandé que la mission Foch soit interrompu­e dès l’escale brestoise ?

Non, je n’ai pas demandé que la mission soit interrompu­e à l’issue de l’escale de Brest. Il y a déjà eu un démenti de la Marine à ce sujet. De toute façon, ce n’est pas une décision qui est de mon ressort. C’est une appréciati­on qui se fait sur toute la chaîne de commandeme­nt. Et donc je le répète : non, je n’ai pas demandé à interrompr­e la mission après l’escale de Brest.

Avec le recul, quelles décisions changeriez-vous ?

Comme je vous l’ai dit précédemme­nt, j’attends les résultats de l’enquête pour tirer toutes les leçons. Comme vous l’imaginez, je me pose un certain nombre de questions. On a pris toute une série de mesures. Elles se sont avérées insuffisan­tes. J’attends de regarder ce qui va être analysé pour en tirer des enseigneme­nts et préparer la suite avec mon équipage.

Certains marins ou leurs familles ont critiqué assez sévèrement la gestion de l’épidémie. Craignez-vous que la confiance soit rompue avec l’équipage ?

J’ai entendu les marins qui s’expriment. J’ai aussi beaucoup discuté avec eux pendant ces semaines qu’on a eu le temps de passer ensemble. J’entends leurs incompréhe­nsions, leurs inquiétude­s, mais c’est une situation inédite qu’on est en train de vivre en France, et ce qu’on a vécu à bord du porte-avions est aussi inédit. Aujourd’hui, les marins sont rentrés chez eux, ont retrouvé leurs familles. On poursuivra ces discussion­s plus tard. Ma première priorité, c’est l’équipage. Pour mettre en oeuvre un bateau aussi compliqué que le Charles-de-Gaulle ,cequi compte, c’est son équipage. Et j’ai confiance dans mon équipage et mes marins pour reprendre l’activité du bateau.

Vous tarde-t-il de reprendre la mer pour tourner la page définitive­ment ?

Chaque chose en son temps. Aujourd’hui, les marins sortent du confinemen­t. Après trois mois de mission exigeante où on a été engagé contre Daech au Levant, le temps est désormais celui de la régénérati­on personnell­e, des permission­s dans les familles. Comme tous les marins, je serai content de reprendre la mer avec le bateau, mais l’heure n’est pas à ce moment-là. Je m’apprête à rentrer dans ma famille, comme mes marins. Ce moment de pause et de régénérati­on est attendu par tous.

 ?? (Photo archives Patrick Blanchard) ?? Le capitaine de vaisseau Guillaume Pinget à la passerelle du Charles-de-Gaulle lors de l’appareilla­ge du porte-avions dans le cadre de la mission Foch au mois de janvier dernier.
(Photo archives Patrick Blanchard) Le capitaine de vaisseau Guillaume Pinget à la passerelle du Charles-de-Gaulle lors de l’appareilla­ge du porte-avions dans le cadre de la mission Foch au mois de janvier dernier.

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