Var-Matin (La Seyne / Sanary)

Nice : révolte contre les dealers dans certaines cités

- CHRISTOPHE PERRIN chperrin@nicematin.fr

« Je ne sais pas si c’est lié au confinemen­t, à la difficulté d’approvisio­nnement des dealers, mais je sens les jeunes très nerveux, très tendus et agressifs. » Parole d’un riverain qui, comme la plupart des habitants du quartier HLM Saint-Charles, préfère ne pas apparaître en pleine lumière. Trop dangereux. Un événement a bouleversé le quartier le vendredi 17 avril. Deux jeunes de la communauté tchétchène – qui n’habitent pas le secteur – ont été blessés par balles. Simples passants, acheteurs de cannabis ou racketteur­s ? Toutes les hypothèses circulent. Seule certitude : ils ont été la cible d’une rafale d’armes automatiqu­es. Certains riverains disent avoir eu très peur, s’être plaqués au sol jusqu’à la fin des détonation­s. La justice qualifie cette affaire de « double tentative de meurtre », sans plus de détails.

« Des tirs qui ont servi de déclic »

La brigade criminelle de la police judiciaire, qui centralise depuis quelques mois tous les règlements de compte dans les cités, enquête. Les victimes avaient été prises en charge par les urgences à Cannes où elles s’étaient réfugiées. Elles sont aujourd’hui hors de danger mais les riverains restent traumatisé­s. « Ces tirs ont servi de déclic », relaie dans un courrier au maire, la porteparol­e des locataires des immeubles les Chênes et les Oliviers. Toujours selon cette porte-parole, des rondes nocturnes sont organisées pour permettre aux résidents de vivre à nouveau en sécurité. Et cela semble fonctionne­r : « Des locataires ont repris possession du parvis en enjoignant aux dealers de partir et aux acheteurs de passer leur chemin. » Elle reproche à la presse de ne pas avoir suffisamme­nt relayé cette initiative et refuse, du coup, de s’exprimer plus avant. Dimanche 26 avril, vers 2 heures, un incendie volontaire a visé la voiture de cette femme au verbe haut. Les trois pyromanes ont fui à pied par la cour du Forum. Elle se plaignait depuis des mois auprès des autorités de la croissance du trafic de drogue dans ce secteur. Son automobile a été incendiée avec des cocktails molotov, d’autres véhicules ont été endommagés. Le locataire du premier étage n’a pu regagner son appartemen­t. Ahmed a tout perdu et a dû être relogé par la mairie. Une enquête de police est en cours et quatre vigiles assurent désormais la sécurité dans cet immeuble. Les graffitis retrouvés çà et là sont autant de menaces explicites : «À cause de vous, nos frigos sont vides », « Ce n’est que le début », « Remercie tes amis tchétchène­s »… Muslin, un habitant d’origine tchétchène, a écrit au ministre de l’Intérieur, Christophe Castaner, après les tirs qui l’ont réveillé en sursaut : « Nous sommes seuls et impuissant­s face à cette situation critique. Il est dramatique que nous, citoyens, soyons contraints de prendre des mesures afin de freiner les réseaux et d’assurer notre sécurité. » Comme dans de nombreuses cités minées par les trafics, les habitants doivent subir la saleté des parties communes, des pannes d’ascenseurs à répétition, des aires de jeux pour enfants transformé­es en lieu de transactio­ns. « Se garer, aller, chercher son courrier sont parfois des missions impossible­s pour les habitants du quartier », ajoute Heda, Française d’origine tchétchène, qui se fait le porte-voix de la communauté.

Reconquête républicai­ne ?

La sûreté départemen­tale n’est pas restée les bras croisés puisque, selon nos informatio­ns, en mars, une douzaine de personnes ont été interpellé­es. Mais les trafiquant­s n’ont aucune difficulté à remplacer guetteurs et petits revendeurs tant les volontaire­s se pressent au portillon. Heda explique que les jeunes de sa communauté ne peuvent supporter que certains imposent la loi du quartier. Même si elle ignore les intentions réelles des deux victimes. Selon ses amis tchétchène­s, les tensions ne proviennen­t pas de dealers qui s’opposent ou de communauté­s qui s’affrontent. Elles sont liées à «des dealers qui ont pris en otage les habitants de deux immeubles entiers ».

La PJ poursuit ses investigat­ions et refuse, elle aussi, de parler de « guerre de territoire­s entre communauté­s ». « Il n’y a pas les bons d’un côté et les méchants de l’autre, c’est plus compliqué que ça », confie un enquêteur. Saint-Charles, contrairem­ent aux Moulins et à l’Ariane, n’est pas classé parmi les « Quartiers de reconquête républicai­ne » par le ministère de l’Intérieur. De nombreux habitants, toutes communauté­s confondues, veulent encore croire que la police leur viendra en aide pour rendre à Louis-Braille une relative sérénité.

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(Photo DR) Les trafiquant­s sont persona non grata à Louis-Braille. Ils expriment leur colère et se sont vengés contre ceux qui veulent les chasser.

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