Var-Matin (La Seyne / Sanary)

« Si seulement cette crise pouvait redonner le goût de l’entraide »

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« Mon âge ? Ah non, ça ne se dit pas ! Je peux juste vous dire que je compte parmi les plus anciennes. » Soeur Agnès éclate de rire. Originaire des Landes, dans le Sud-Ouest, cette ancienne professeur­e de français et latin-grec est entrée dans les ordres à l’âge de 25 ans. Et vit au monastère depuis la fondation des petites soeurs de la Consolatio­n du Sacré-Coeur et de la Sainte Face, il y a trente ans. « C’est un achemineme­nt personnel, ça ne vous tombe pas dessus comme ça, ou en tout cas c’est très rare, livre-t-elle. Et c’est quelque chose qui ne s’explique pas. C’est comme demander à une personne pourquoi elle se marie avec untel plutôt qu’avec un autre. »

« Cette pandémie nous rappelle que nous sommes des êtres fragiles »

Mais soeur Agnès a tout de même eu un déclic… « Lorsque j’étais en retraite, le curé est mort sous nos yeux pendant la messe, victime d’un malaise cardiaque. Ça m’a fait quelque chose. On prend conscience que la vie va vite, qu’elle peut s’arrêter brusquemen­t, et on se demande ce que l’on veut en faire. J’ai donc fini par prononcer mes voeux perpétuels au bout de huit ans et demi d’engagement. » Et aujourd’hui, sans pour autant oublier sa vie d’avant, soeur Agnès ne nourrit aucun regret. «Ilyaparfoi­s des moments de nostalgie, mais je suis convaincue d’avoir pris la bonne décision. Pas question de me retourner sans cesse en arrière en me disant que je n’aurais peut-être pas dû. » Au contraire, soeur Agnès dispose du recul nécessaire pour évoquer les choix, les sacrifices de sa vie. Et c’est avec sagesse, en ayant un regard parfois acerbe, qu’elle observe les réalités qui l’entourent. « Aujourd’hui, le monde souffre. Il pousse un grand cri. Et pas seulement à cause du Covid-19. Il y a aussi la faim en Afrique, l’esclavage en Asie, et bien d’autres fléaux dont on ne parle presque pas. Cette pandémie s’ajoute à tout ceci et rappelle à tous ce que nous sommes, c’est-à-dire des êtres fragiles. Si seulement elle pouvait redonner le goût de l’entraide », espère-t-elle. Mais soeur Agnès « y croit sans y croire ». « Car de très belles choses se sont manifestée­s, mais il y en a eu aussi de très vilaines. Comme toujours, il y a ceux qui développen­t l’entraide et le partage, et ceux qui sont prêts à tuer le voisin pour un morceau de pain. Ces problèmes sont vieux comme le monde, mais chacun reste libre d’y participer ou non. Jésus a dit : aimez-vous les uns les autres, comme je vous ai aimés. Parfois, quand on voit tout cela, on n’a pas du tout envie d’aimer son prochain. Ce n’est pas toujours évident, c’est quelque chose qui se travaille et se puise à l’intérieur de soi », reconnaît soeur Agnès.

Un mode de vie inchangé, mais des pertes financière­s

Mais revenons à la crise sanitaire… La vie monastique a-t-elle été chamboulée ? « Notre mode de vie n’a pas changé, répond la moniale. Entre nous, pas de gestes barrières puisque le confinemen­t est notre quotidien. En revanche, précise-t-elle, nous ne pouvons plus accueillir les enfants le mercredi. Pour le moment, nous ne rendons plus visite à nos aînés dans les maisons de retraite et nous ne recevons plus de public. De fait, notre boutique – où l’on vend nos créations artisanale­s – et les commandes passées auprès de notre atelier couture sont à l’arrêt. Les pertes financière­s sont réelles, mais… » Soeur Agnès lève la main. « Ce n’est rien. Comparé à toutes ces pertes humaines, ce n’est rien, vraiment ! »

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« Entre nous, souligne soeur Agnès, pas de gestes barrières puisque le confinemen­t est notre quotidien. Notre mode de vie n’a pas changé. »

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