Var-Matin (La Seyne / Sanary)

« Écrire sur Genève ? Un vrai défi »

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Depuis La Vérité sur l’affaire Harry Quebert (2012), vendu à cinq millions d’exemplaire­s dans le monde, Joël Dicker est devenu l’une des locomotive­s de la littératur­e francophon­e. Lorsque le romancier âgé de trente-quatre ans présente un nouveau livre, c’est un événement. Prévue pour mars dernier, la sortie de L’Énigme de la chambre 622 était évidemment très attendue. La pandémie l’aura décalée de deux mois. Depuis deux jours, ses nombreux adeptes peuvent se plonger dans un récit dense prenant place en Suisse, entre Genève et Verbier, fameuse station de sports d’hiver. Là, au coeur des Alpes, un meurtre a eu lieu dans un luxueux hôtel. Une affaire non résolue, jusqu’à ce qu’un écrivain débarque, des années après. Nommé Joël, il pensait prendre un peu de repos, mais il va vite être embarqué dans une partie de Cluedo grandeur nature. À partir d’un tableau somme toute classique, Joël Dicker parvient à ficeler une histoire pleine de rebondisse­ments, tout en tirant les ficelles d’une drôle de comédie humaine et en rendant hommage à son éditeur, Bernard de Fallois, disparu en 2018. Via Skype, l’auteur nous présente son nouvel ouvrage.

Choisir Genève comme lieu de récit, était-ce de la facilité ou un défi pour vous ?

C’était un vrai défi. Raconter une histoire basée à Genève, ville dans laquelle je suis né et je vis, c’était un pas difficile. Il fallait créer une séparation entre la réalité et mon imaginaire. Ce n’était pas simple de parler de la ville en me détachant de tout ce que j’expériment­e ici. Je connais les lieux que j’évoque, mais ce ne sont pas mes lieux de prédilecti­on. C’était cependant indispensa­ble pour laisser place à une Genève de fiction.

Certaines scènes et l’ancrage du récit autour d’une vieille entreprise familiale donnent un aspect intemporel au livre...

Oui, je le voulais vraiment. Mes précédents romans étaient aussi marqués par le passage du temps, on naviguait entre plusieurs époques. Là, je voulais moins baliser avec des dates précises. Avant, je m’accrochais beaucoup, comme à une bouée, à une temporalit­é très claire pour naviguer entre les époques. On est dans l’univers de la banque privée, qui offre plusieurs avantages. Pendant des décennies, voire des siècles, ce monde a très peu changé.

Une banque privée, ce n’est pourtant pas très excitant...

Ce milieu bancaire n’est pas ma passion. Et j’imagine que des banquiers trouveront que ça ne marche pas du tout comme je le décris. Mais ce n’est pas très grave. Cette banque privée n’est qu’un prétexte, un décor pour développer des histoires de famille, d’amour, de loyauté, de trahison... C’est un univers feutré, oui. Mais ça bouillonne dans les têtes, chacun est dans une situation matérielle confortabl­e, mais avec des vrais tourments intérieurs. Le meurtre a toute sa place dans ce roman. Pas pour en faire un polar, mais pour l’amener vers ce qui peut se passer quand on est déçu, amoureux ou trahi.

Vos personnage­s sont-ils tous embarqués dans une quête identitair­e ?

C’est un peu la colonne vertébrale du livre, oui. Je suis parti d’une dualité entre le fils du patriarche de la banque, Macaire, et un rival qui est aussi considéré par cet homme comme un fils.

Votre narrateur semble happé par la création littéraire, au point de rater certains temps forts de sa vie. Y a-t-il beaucoup de vous dans ce Joël ?

Je suis en partie comme cela. Mais je ne suis pas sûr qu’il y ait plus de moi dans ce narrateur que dans les autres personnage­s du livre. Cela peut donner l’impression d’une plus grande proximité, mais ce n’est pas forcément le cas.

En intégrant un hommage à votre éditeur, Bernard de Fallois, n’avez-vous pas craint de perdre les lecteurs ?

Au début, le livre était plutôt le récit de mes quelques années de vie à ses côtés. Je voulais écrire cela tant que mes souvenirs étaient encore frais. Et à mesure que j’avançais, je me suis dit qu’il y avait autre chose à faire pour lui rendre hommage. Comme c’est le roman qui nous a permis de nous rencontrer, peutêtre qu’il fallait intégrer ces éléments dans un roman. Peu à peu, tout s’est imbriqué. Honnêtemen­t, je ne me suis pas demandé si j’allais perdre mon lecteur. Ce n’est pas une obsession de toute façon car je n’ai pas un lecteur type. J’ai du mal à savoir ce que l’on attend de moi. C’est plutôt agréable comme position, ça me donne une grande liberté.

J’ai du mal à savoir ce qu’on attend de moi. C’est plutôt agréable comme position”

Votre succès est-il un frein à cette liberté ?

J’habite à Genève, je ne suis pas tellement à Paris, là où tout se passe pour le milieu littéraire francophon­e. En dehors de la promotion d’un livre, pendant deux ou trois mois, je suis en Suisse. Ici, tout est très calme. Ce rapport à l’image ou au succès n’existe pas. Je m’enferme dans mon bureau pour écrire un nouveau livre, pendant deux ou trois ans.

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