Var-Matin (La Seyne / Sanary)

« Il faudra forcément un art virtuel »

Patrick Moya L’artiste niçois, qui travaille depuis des années entre mondes réels et virtuels, a accueilli de nombreux visiteurs dans son Moya Land dématérial­isé pendant le confinemen­t, et ça continue

- PROPOS RECUEILLIS PAR AMÉLIE MAURETTE amaurette@nicematin.fr

Toujours un peu à part, l’artiste niçois Patrick Moya. Un peu lunaire. Depuis des années déjà, celui qui expose son univers coloré et enfantin aux quatre coins du monde développe également comme personne le concept d’art virtuel. Et il n’a pas attendu un confinemen­t planétaire pour s’intéresser à la culture à distance. Son idéal : vivre dans son oeuvre, dématérial­iser son art et le partager sans frontières. C’est ce qu’il s’efforce de faire d’ailleurs, depuis 2007, avec la création de son Moya Land sur la plateforme Second Life. Dans cette vie parallèle en 3D, où peuvent se croiser des utilisateu­rs du monde entier, le peintre a imaginé un espace de 260 000 m2 réparti en quatre « îles » où il mélange des lieux inventés et des reproducti­ons d’autres, biens réels, des oeuvres qu’on a pu voir ailleurs et des projets en cours. Ce monde digitalisé, qu’il se réjouit de faire découvrir en accueillan­t les visiteurs sous la forme de son petit avatar, a connu ces derniers mois, un regain d’intérêt. Fermeture de tout le reste oblige. Pas de quoi perturber Patrick Moya, bien au contraire !

Comment avez-vous vécu le confinemen­t ?

Oh moi, j’ai la chance d’avoir un jardin et une maison, ça ne m’a pas trop dérangé. Je vis assez seul, ça ne m’a pas beaucoup changé. C’est la première fois de ma vie que je n’ai pas eu de rendez-vous, aussi. Je n’avais jamais vécu ça, je travaille tout le temps, j’ai tout le temps une expo, quelque chose en cours. Je n’ai jamais pris de vacances, je n’ai jamais voyagé autrement que pour une exposition par exemple. J’ai donc profité de ce moment pour faire tout ce que je n’ai pas le temps et pour investir d’autres mondes que Second Life…

Lesquels ?

J’ai investi des mondes comme VRChat et Roblox, qui est plutôt pour les enfants. J’ai créé des musées dans plusieurs mondes. Quand je commence quelque part, je crée toujours un musée Moya.

Vous qui êtes un habitué du monde virtuel, trouvez-vous que le confinemen­t a fait changer les pratiques là-dessus ?

Il y a eu un regain notamment sur Second Life. Il y a eu quelques articles là-dessus et cela a amené beaucoup de visiteurs. Ça a relancé un peu les mondes virtuels. Moi, j’ai fait des visites presque tous les soirs. Je continue. Hier, j’ai eu deux Canadiens, trois Français… Pendant le confinemen­t, avec mon galeriste Franck Michel, à Nice, j’ai reconstitu­é sa galerie et on a fait un événement dans Second Life, avec des DJ. On a fait une soirée d’ouverture et une soirée de clôture le jour du déconfinem­ent, les collection­neurs de la galerie ont suivi en direct et ont vu les oeuvres.

Qu’est-ce qui vous plaît tant dans cet art virtuel ?

Ce n’est pas tellement l’art, c’est parce que j’ai toujours rêvé d’être à l’intérieur de l’oeuvre ! J’ai théorisé, quand j’étais jeune à la Villa Arson, en ,, que les médias allaient transforme­r l’artiste en le mettant en direct. Le direct allait faire qu’on n’aurait plus le temps de raconter l’histoire de l’art et que l’artiste deviendrai­t tout de suite un personnage. Il ne pouvait plus être Léonard de Vinci, il devait être tout de suite la Joconde. C’est pour ça que le jour où j’ai découvert Second Life, j’ai trouvé ça fabuleux, on pouvait créer son monde et y rencontrer des gens. Je ne me sens pas vraiment artiste numérique, l’art numérique est souvent assez lourd, demande beaucoup de moyens d’installati­on, moi c’est le contraire. Je voudrais être virtuel, complèteme­nt immatériel.

Avec cette période curieuse, la réalité a rejoint votre théorie ?

Oui, un peu ! Je crois que c’est, de toute façon l’avenir. Petit à petit, nos identités deviendron­t de plus en plus numériques, on vivra de plus en plus à travers nos avatars. On habitera l’ordinateur. Jusqu’au jour où le cerveau sera conservé dans un ordinateur et qu’on pourra continuer de survivre à l’intérieur…

Pour autant, imaginerie­z-vous ne faire plus que ça ?

Non, je ne crois pas. Je fais toujours les deux en même temps. Là, je suis en train de peindre une salle au musée Masséna [à Nice et, ce que je suis en train de réaliser, c’est aussi des textures pour mon monde virtuel. D’ailleurs, cette fresque que je peins là sera effacée une fois que l’expo sera finie, mais je la garderai à l’identique dans le monde virtuel et on pourra la voir. En général, mes exposition­s, je les prépare dans Second Life ,jefaisles maquettes, je vois comment seront installées les oeuvres, et après, je la crée réellement. J’organise un vernissage virtuel qui est diffusé ensuite dans l’expo réelle. Tout est lié !

J’ai créé des musées dans plusieurs mondes…”

Petit à petit, nos identités deviendron­t de plus en plus numériques”

Cette dématérial­isation change-t-elle notre rapport à l’art ?

Plus les gens vont vivre dans le virtuel – et on vit déjà en grande partie dedans à travers Facebook, Instagram, qui essaient de se mettre à la D – plus il y aura un art pour ça. Si on va voir des amis le soir dans un monde virtuel, il faudra forcément un art virtuel, ne serait-ce que pour décorer les maisons dedans ! 1. Pour une exposition autour de Jean Ferrero, dont les dates n’ont pas encore été annoncées.

La page Facebook de l’artiste : www.facebook.com/moya.patrick/

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France