Se saisir de la crise pour créer le monde de demain Grand angle
Malgré une reprise prudente mais nette de l’activité économique, un retour à la normale sera long. Et si la crise était une opportunité pour inventer un nouveau monde ?
Un recul de 20 % du PIB au second trimestre et une baisse certainement supérieure à 8 % pour l’année. Les chiffres post-confinement livrés par l’Institut national de la statistique (Insee) sont brutaux. Si l’activité redémarre prudemment en France et que la deuxième phase du déconfinement qui débute demain voit la réouverture des cafés, restaurants et la suppression de la limite des 100 km pour les déplacements, la récession sera violente. «Laplus importante récession depuis la création des comptes nationaux en 1948 », estime l’Insee. Comment va-t-elle se traduire concrètement pour les ménages, les entreprises ? Est-elle une opportunité pour créer un nouveau modèle économique plus égalitaire et respectueux de l’environnement ? L’analyse d’Eric Heyer, directeur du département analyse et prévision à l’OFCE (Observatoire français des conjonctures économiques), membre du Haut Conseil des finances publiques et auteur d’ouvrages sur la macro-économie.
Reprise lente
« Durant le confinement, l’économie tournait à 70 % de son activité, soit une perte de 2 Mds € par jour. Du jamais vu, souligne l’expert. Depuis le 11 mai, date du déconfinement, on a constaté que les ménages restaient prudents. La consommation a fortement bondi durant la première semaine pour se calmer ensuite. On aurait pu s’attendre à ce que les Français désépargnent mais non. Le sentiment qui prévaut est que la crise sanitaire et économique n’est pas derrière nous mais devant, d’où une épargne de précaution. » Malgré le déconfinement, on ne retrouvera pas de sitôt des niveaux normaux.
Qui va payer ?
Le choc économique du confinement est évalué aux alentours de 120 Mds€. La question est de savoir qui va porter ce coût : les ménages, l’État et les finances publiques
les entreprises ? « En dépit du discours du président Macron durant le confinement selon lequel le coût serait supporté par les administrations publiques, on se rend compte qu’on n’est pas vraiment dans ce “coûte que que 70 Mds€ sur les 120 Mds€. Il reste 50 Mds€ à la charge des agents privés et qui se répartissent ainsi : 10 Mds€ à la charge des ménages et 40 Mds€ pour les entreprises. » Même si le gouvernement a mis en place le chômage partiel, ce dernier fait perdre 7 % de pouvoir d’achat aux ménages. Par conséquent, ils ont eux aussi réduit leur consommation et constitué une épargne forcée d’environ 55 Mds€. « Ce qui est paradoxal car on a plutôt tendance à épargner quand on a des suppléments de revenus. Ici, on parle plutôt de consommation empêchée. »
Vague de faillites
Depuis le 1er juin, l’État et l’Unédic ne prennent plus en charge que 60 %, et non plus 70 %, de la rémunération brute des salariés au chômage partiel. Cela ne change rien pour le salarié qui continue à toucher 84 % de son salaire net. En revanche, c’est à l’employeur de supporter un reste à charge de près de 15 %. « Ce qui peut accentuer le potentiel de faillite d’entreprises qui licencient, prévient Eric Heyer. Il va falloir regarder avec attention le prochain projet de loi de finances rectificatif qui sera proposé par le gouvernement le 10 juin. Il y aura certainement de grandes mesures de soutien à l’activité. Il est possible qu’il y ait moins de dépenses pour le chômage partiel mais davantage pour maintenir les entreprises en vie. »
Quels secteurs ?
« La crise est globale mais avec une hétérogénéité sectorielle, souligne le macro-économiste. Elle touche davantage les services (dont l’hébergement et la restauration) que l’industrie. Même si, à l’instar de l’aéronautique, certains pans de cette dernière ont été très fortement impactés. » Et de reprendre : « Pour certaines industries comme l’automobile, ce qui n’a pas été consommé durant la crise le sera plus tard. C’est un report. Pour les services, ce ne sera pas le cas. On va peutêtre recommencer à aller au restaurant comme d’habitude, voire un peu plus, mais pas deux fois plus. » D’où un rebond hétérogène. « La question que l’on se pose lors des plans de relance est de savoir si on doit aller sauver les secteurs qui ne connaîtront pas de rebond. Et donc la question du monde que l’on veut demain (lire par ailleurs). »
Fin ?
En 2019, la France a enregistré sa plus forte baisse du nombre de demandeurs d’emploi depuis 2008. Mais le Covid-19 a rebattu la donne. À quel horizon peut-on espérer récupérer un niveau avant-crise ? Difficile à dire : « On ne s’est pas encore risqué à faire des prévisions sur un an. L’Insee, lui, fait des prévisions à 15 jours. On prévoit à la sortie du confinement 600 000 chômeurs supplémentaires. On va encore détruire de l’emploi durant le déconfinement et on dépassera donc largement le million de chômeurs supplémentaires malgré l’activité partielle. A noter que sans elle, on aurait dépassé les 6 millions. Pour que l’on récupère le niveau d’avant, il faut que l’activité revienne à ce qui prévalait avant la crise. Il y a eu un choc de 30 % pendant plusieurs semaines, il faudra donc qu’on retrouve des taux de croissance supérieurs à 30 % pendant des semaines. Et ce n’est donc pas gagné. Il ne faut pas attendre un retour à la normale et un taux de chômage à la normale avant fin 2021. » Et cela suppose qu’il n’y ait pas de deuxième vague de pandémie, ni de crise financière…