Des séquelles du virus sur la consommation ?
La période de confinement a-t-elle bouleversé notre façon de consommer ? Un phénomène éphémère ou durable ?
Vivre pour consommer ou consommer pour vivre, telle est la question. Ou pas. La crise sanitaire a-t-elle bouleversé notre façon de consommer ? Local plutôt que mondial, français plutôt que chinois, bio plutôt que Monsanto... Je consomme donc je suis. 11 mai. Les rideaux de fer des magasins grincent pour la première fois depuis le 17 mars. Avenue Médecin à Nice, une longue file se forme devant Zara. Le magasin de vêtements favoris des fashionistas est pris d’assaut.
« Je me fiche que ce soit fabriqué en Chine »
Idem à Polygone Riviera devant le temple incontestable du fabriqué au Bangladesh ou en Chine, où les ouvriers travaillent plus de 16 heures par jour pour moins de 100 euros par mois : Primark. Et trois semaines après, le magasin ne désemplit toujours pas. Ça grouille à l’intérieur. « Je regarde mon porte-monnaie avant tout. Mon fils a besoin de pantalons et de teeshirts, il grandit vite et je n’ai pas les moyens d’aller ailleurs. Si je gagnais plus j’achèterai français, mais le problème ne se pose pas », commente Nadia, les bras chargés de sacs de l’enseigne irlandaise, locomotive incontestable du centre commercial en plein air cagnois.
Elle n’est pas la seule. Le sac Primark est au bras de quasiment tous les clients de Polygone. Lou et Emma ne sont venues que pour Primark. Les deux adolescentes ont acheté des maillots de bain, « 5 euros », pouffe Emma. Et du maquillage : « Ils copient les palettes de grandes marques, mais ça vaut cinq fois moins cher. » Éthique... Et toc : « Franchement, on s’en fiche que ce soit fabriqué en Chine. Avec 10 euros d’argent de poche par semaine, je ne peux pas aller chez Sephora », bégaie Lou. Et la limite est ténue entre besoin et envie. Selon un sondage Ifop sur « La société de l’après : Quelles mutations anticiper ? », la consommation des ménages a reculé de 35 % pendant le confinement et les Français ont envie de consommer. Patricia qui s’apprête à rentrer dans le magasin le reconnaît : «Je n’ai besoin de rien, mais j’ai besoin de faire du shopping, ça me fait du bien. »
Fracture sociale
Consommer, c’est aussi se nourrir. Le virus a-t-il changé nos habitudes alimentaires ? Le bio a-t-il bénéficié de la période de confinement ? Oui. Et aussi malgré lui. « Certains clients se sont tournés vers les produits bio parce qu’il ne restait plus que ça en rayon au début du confinement », explique Estelle, caissière dans une supérette à l’est de Nice. Selon Les Échos, lissées sur le premier mois de confinement, les ventes de bio en supermarchés et hypermarchés ont augmenté de 30 %. Mais la prise de conscience durable de la nécessité de manger sain, bio, local n’a pas le même écho dans tous les foyers. C’est une question de pouvoir d’achat. « On a eu le temps de cuisiner, le temps de se pencher sur les paniers de fruits et légumes, le temps d’aller les chercher aussi. Ce qu’on ne faisait jamais avant. On va essayer de garder cette hygiène de vie », assure Julie, mère de trois enfants. « Aussi parce qu’on en a les moyens », dit-elle. Mais de l’autre côté, les associations, comme les Restos du Coeur ont été débordées. Et ont dû batailler pour assurer un surcroît d’activité et recevoir un public jusqu’alors inconnu. À Nice, l’association Arc-en-ciel, qui propose des denrées alimentaires et des produits d’hygiène aux personnes en situation de précarité ou en difficultés financières passagères, a vu les nombres de ses bénéficiaires bondir. Particulièrement chez les « retraités et les étudiants ». Le coronavirus a déconfiné la fracture sociale, révélateur d’une consommation à deux vitesses.