Var-Matin (La Seyne / Sanary)

Violences policières : le Premier ministre tente l’apaisement

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Edouard Philippe [photo AFP] a cherché, hier, à calmer la polémique qui enfle sur les violences policières en appelant au « respect et à la confiance » vis-à-vis de la police, mais aussi à « l’exigence », dans un contexte de « très grande » émotion après la mort de George Floyd aux Etats-Unis, ravivant la controvers­e en France sur l’affaire Adama Traoré [lire en page suivante]. Le Premier ministre a passé la matinée à Evry (Essonne), une ville populaire au sud de Paris, ancien fief électoral de Manuel Valls, où il a d’abord rencontré des policiers au commissari­at avant de se rendre dans les locaux de l’associatio­n citoyenne Génération­s 2, engagée sur plusieurs fronts dont les relations entre police et population.

Émotion partagée

Il était notamment accompagné du ministre de l’Intérieur Christophe Castaner, envoyé la veille en première ligne par Emmanuel Macron, lui-même pressé par l’opposition de se prononcer sur ce sujet sensible, pour annoncer des mesures destinées à améliorer la déontologi­e des forces de l’ordre. S’exprimant pour la première fois sur ce sujet depuis le début des manifestat­ions antiracist­es et antiviolen­ces policières, Edouard Philippe a reconnu que l’émotion était « très grande, très légitime, très partagée » après la mort de George Floyd. Les images vidéo montrent «la mort d’un homme dans des conditions inacceptab­les et, à vrai dire, monstrueus­es » , a jugé le chef du gouverneme­nt. Edouard Philippe a souligné que la mission des policiers et gendarmes, qui « sont en première ligne » pour « nous protéger tous », était « redoutable­ment difficile ». Car ils sont « confrontés à des tensions, à des menaces, à des risques ».

Emmanuel Macron accusé de « déni de la réalité »

« Nous leur devons respect et confiance », comme le fait « l’immense majorité des Français », mais « nous avons également un devoir d’exigence vis-à-vis d’elle », a-t-il ajouté. Après sa visite au commissari­at d’Evry, et après avoir été interpellé par des élus de l’Essonne sur la question, Edouard Philippe a reconnu que certains policiers avaient fait part de « leur émotion et parfois de leur incompréhe­nsion devant un certain nombre de critiques dont ils sont l’objet ». Comme Jean-Luc Mélenchon (LFI), Christian Jacob (LR) ou Jean-Christophe Lagarde (UDI), le député européen d’Europe Écologie Les Verts (EELV) Yannick Jadot s’est étonné du silence d’Emmanuel Macron sur la question du racisme, l’accusant d’être dans un « déni de la réalité ».

Pourquoi lui ? Pourquoi George Floyd ? Pourquoi maintenant ? Pourquoi cette mort, le meurtre d’un inconnu par un policier qui ne l’était pas moins, a-t-elle soulevé une vague d’indignatio­n mondiale, un metoo antiracist­e planétaire, alors que les Etats-Unis ont connu tant de drames semblables ? Mystérieus­e alchimie des mouvements d’opinion. Le poids de l’image, sans doute. L’implacable dramaturgi­e de cette agonie filmée en direct. Insupporta­ble. Interminab­le.  minutes  qui feront le tour des réseaux sociaux à la vitesse du Net. La terrible symbolique de cette scène. Le policier blanc au-dessus, l’homme noir en dessous, face contre terre. I can’t breathe ! Je ne peux pas respirer. Les mots mêmes d’Eric Garner, étranglé par un policier new-yorkais en juillet . Des mots devenus slogan de la lutte contre les brutalités policières et les discrimina­tions raciales. Les errements de la justice américaine qui met plusieurs jours à prononcer le mot « meurtre ». Trop tard. Il faut compter aussi avec la puissance d’amplificat­ion des chaînes d’info, happées par un événement inédit, spectacula­ire, échappatoi­re bienvenue, après trois mois de focalisati­on exclusive sur la crise du coronaviru­s. Sans négliger, bien sûr, la conjonctur­e politique. L’affaire Floyd, à l’aube de la campagne présidenti­elle US, a rassemblé au-delà du parti démocrate l’ensemble du camp dit libéral : en somme, tous ceux qui étouffent sous la présidence Trump. En France, elle a fourni à la gauche radicale un nouveau levier de mobilisati­on contre le macronisme et les « violences policières ». La collision avec l’affaire Traoré servant de pont entre les Etats-unis et la France, de trait d’union entre « gilets jaunes », colère noire et rage antisystèm­e. Mais la vague qui a parcouru la planète n’aurait pas eu une telle ampleur si elle ne révélait des choses plus profondes, qui ont trait à la condition noire, au « ressenti » des minorités « de couleur » ; à la persistanc­e de stéréotype­s raciaux (logement, emploi, relations avec la police) d’autant plus douloureus­ement vécus qu’ils sont volontiers minimisés, ou niés, par des sociétés qui aimeraient tellement se croire débarrassé­es du racisme. Il y a là un écheveau de sentiments complexes, d’impensés, de préjugés exprimés ou refoulés, de bonne et mauvaise conscience­s, qui ne sont pas étrangers à la manière dont les « blancs » aussi se sont sentis concernés par la mort de George Floyd. C’est tout cela que recouvre le mot d’ordre Black Lives Matter. Manifeste repris par des manifestan­ts du monde entier. De Bristol à Budapest en passant par Rome, Madrid, Bruxelles, Dortmund. Et, bien sûr, Paris et tant d’autres villes françaises. Comme tout fleuve, celui-ci ne charrie pas que des jolies choses et des bons sentiments. Il comporte son lot de scories : d’actes laids et de propos sales. Des scènes d’émeute et de pillage, des tabassages. A Londres, la statue de Churchill vandalisée. En France, les surenchère­s « indigénist­es » de groupes dont la représenta­tivité est inversemen­t proportion­nelle à leur violence verbale. Des people en surjeu. Des amalgames absurdes entre police française et police américaine. Des slogans toxiques – on pense au détestable « tout le monde déteste la police », que tous les sondages démentent. Mais par son ampleur, et justement parce qu’il brasse gens de tous âges et de toutes couleurs, le courant de lui-même a noyé ses excès. Ce qui en reste et surnage tient en peu de mots : un désir de fraternité. Irénisme ? Par les temps qui courent, singulière­ment dans ce pays si doué pour creuser ses plaies, on aurait tort de cracher dessus.

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