Var-Matin (La Seyne / Sanary)

Mots tus et bouches cousues

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Une jeune femme hérite d’une commode. Celle de Rita, sa grand-mère, son abuela. La famille est d’origine espagnole. Les tourments du XXe siècle et la dictature franquiste l’ont menée en France. Danger de mort au départ, regards plein de mépris à l’arrivée. Le temps a passé, les nondits et les secrets se sont accumulés. Dans les tiroirs, des objets. Une médaille de baptême, un foulard, un billet de train. Des fragments d’existence qui se révèlent peu à peu. Olivia Ruiz partage beaucoup avec cette personne se retrouvant avec ce meuble coloré chez elle. Mêmes racines, même mémoire familiale verrouillé­e à double tour. Même enfance à crapahuter dans la garrigue et à se faufiler entre les jambes du café-restaurant­hôtel-station-service des grands-parents à Marseillet­te, dans l’Aude.

« Savoir d’où l’on vient pour savoir où l’on va »

Le reste ? « Du rêve, du fantasme. Rita, c’est autant celle qui manque à ma vie que toutes les femmes de ma vie », glisse l’artiste aux multiples casquettes. Chanteuse, bien sûr, mais aussi auteure et compositri­ce. Entre toutes les discipline­s, il y a ce fil rouge, cette obsession qui prend au ventre depuis longtemps. Dans son agenda de collégienn­e, elle le griffonnai­t déjà : « Savoir d’où l’on vient pour savoir où l’on va. » « Depuis plus de vingt ans, je lis des choses sur la guerre d’Espagne et sur l’exil en général. Je m’intéresse aussi à la psychogéné­alogie. C’est un appel du sang, je n’ai pas décidé d’être plus touchée par les gens qui deviennent résilients après un exil. » Elle l’a chanté dans Bouche cousue, un spectacle monté l’an dernier chez elle, à Narbonne. Ou plus tôt encore, dans la comédie musicale Volver. Écrire un roman ? Pas vraiment prévu. Pas assez de légitimité, pensait-elle. « J’ai toujours peur de ne pas être à la hauteur. J’ai l’impression de ne jamais en faire assez. » Son agent, Olivia de Dieuleveul­t, est tombée sur une nouvelle qu’elle avait écrite. Elle l’a poussé à en faire un livre et transféré le tout, sans la prévenir, à dix maisons d’édition. Toutes étaient partantes. JC Lattès l’a emporté et a vu grand en imprimant La Commode aux tiroirs de couleurs à 80 000 exemplaire­s. Un choix judicieux, si l’on en croit le

flot de critiques positives.

Je parle de gens purs, de forces vives”

Oralité, authentici­té

Tout sauf de la complaisan­ce. Le premier roman d’Olivia Ruiz se singularis­e par sa limpidité, son sens du mot et des sentiments justes. « Pour ce récit, il ne fallait pas un style ampoulé. Je parle de gens purs, de forces vives, de beaux exemples à suivre. J’ai demandé qu’on corrige le texte en le lisant oralement. Ça a pris un peu de temps, c’était un truc un peu étrange à mettre en place. Mais ça a été super. Mes éditrices m’ont beaucoup aidée. Sans elles, je ne serais pas allée au bout. » Une histoire de femmes fortes qui se serrent les coudes, comme les héroïnes de son roman, que l’on imaginerai­t très bien s’inviter chez Almodóvar.

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(DR) En élaborant une fiction autour de ses racines espagnoles et des femmes de sa vie, la chanteuse signe une belle entrée en littératur­e.

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