Var-Matin (La Seyne / Sanary)

Le temps n’a pas effacé les stigmates...

Christian Cotton : « Dix ans après, rien n’avance... Il faut agir ! »

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Christian Cotton, 72 ans, Dracénois pur et dur, nous invite à le rejoindre au bord de la Nartuby, du côté du pont de la Clappe. Domicilié à quelques centaines de mètres de là, dans le quartier du Dragon, l’homme et sa famille, ont été touchés de plein fouet par les inondation­s dramatique­s de juin 2010. Lui qui s’occupait à l’époque d’un petit élevage de brebis, lapins, poules et autres canards se remémore les événements.

« Un torrent d’eau dévalait la colline »

« Il pleuvait depuis deux-trois jours. Ce jour-là, le 15 juin, il s’est mis à tomber des trombes d’eau. J’étais en train de me reposer quand mon épouse m’a appelé. En regardant par la fenêtre de la cuisine, elle voyait de l’eau couler derrière notre maison. » Christian sort et écarquille les yeux. « J’ai constaté la formation d’un petit lac, carrément. J’avais fait un trou pour construire une piscine, et il était rempli. Notre canal qui jouxte la maison débordait avec de l’eau boueuse. Puis je me suis aperçu qu’un torrent d’eau dévalait la colline. » Son premier réflexe est de se préoccuper de ses bêtes. Il parviendra à sauver quelques brebis, mais perdra tout le reste. « C’est à ce moment-là que je me suis aperçu de la force du courant qui charriait des morceaux de bois. » Alors il retourne chez lui et retrouve son épouse blessée. « Elle avait voulu sortir par la porte coulissant­e de notre véranda. Quand elle l’a ouverte, celle-ci s’est tordue sous l’effet du courant. L’eau l’a fait chuter et son genou a lourdement touché le sol. Ma fille était avec elle, prise de crise de panique. Je les ai toutes les deux fait monter dans les combles. » Face à la soudaineté des événements, c’est l’étonnement qui prime d’abord. « Sur le moment, j’ai eu dû mal à réaliser et analyser ce qu’il était en train de se produire. » Passé la surprise, l’inquiétude grimpe en flèche. D’autant que le père de Christian, 88 ans à l’époque, et son frère, tétraplégi­que, habitent seuls, à 200 mètres de chez lui. « Une fois ma femme et ma fille en sécurité, je suis parti les rejoindre.

Je ne sais plus comment je me suis débrouillé pour, mais il y avait jusqu’à 1,50 mètre d’eau par endroits. » Une fois sur place, il pénètre dans le domicile par une fenêtre, et va au plus urgent. « L’eau commençait à entrer dans la maison. J’ai commencé par surélever mon frère en fauteuil roulant sur une table dans son bureau. »

« Mon frère avait de l’eau jusqu’au menton »

Puis il ressort pour fermer les volets et tenter de se barricader. «À ce moment-là, il y a eu un grand bruit. Une vague venait de défoncer la porte d’entrée épaisse de 5 cm. Tous les objets sur la terrasse ont été emportés et sont rentrés dans la maison. Il y avait un chambardem­ent pas possible. » Resté sur la terrasse, Christian s’accroche à un mur tant bien que mal. Puis se présente face à la fenêtre

du bureau de son frère. « J’ai alors vu l’eau qui s’engouffrai­t dans la maison et qui montait rapidement. Puis mon frère a basculé de la table. Il était dans l’eau. Mon père essayait péniblemen­t de le retenir. J’ai alors cassé la vitre pour entrer dans la maison et évacuer l’eau qui menaçait de les noyer. » Il tente alors de sortir son frère de l’eau en l’agrippant sous les aisselles. « Mais un de ses pieds était coincé dans un tiroir coulissant du bureau. Je n’arrivais pas à le sortir, il était bloqué. D’autant plus que mon père s’agrippait à moi. »

Alors il maintient la tête de son frère hors de l’eau, comme il le peut. « Le niveau était tel qu’il avait de l’eau jusqu’au menton. C’était limite. » Impuissant­s, les trois hommes resteront ainsi pendant de longues heures. « Je jurais de ne pas pouvoir le sortir de là. Au loin, j’apercevais ma maison par une porte vitrée et je m’inquiétais

pour ma femme et ma fille. Je me demandais si la maison, un peu vétuste, n’allait pas être emportée. » Les minutes défilent lentement. « J’ai bien entendu le bruit d’un hélicoptèr­e, mais ensuite, plus rien. Le téléphone était dans l’eau. J’avais perdu mes lunettes. Et le temps passait. » À l’extérieur, il prend un repère pour surveiller la montée des eaux. «Ona attendu. On ne pouvait faire que ça. » Puis le niveau a baissé. «Je suis retourné chez moi. Il y avait 80 cm d’eau. » À ce moment-là, le petit ami de sa fille parvient à les rejoindre, «en prenant beaucoup de risques ». Face à la situation, tous sont démunis. Et isolés. « Nous étions inquiets de ne pas voir de secours arriver. Mais notre quartier est éloigné de la ville. Vu ce qu’il se passait chez nous, on a alors réalisé que plus bas, là où la population est plus dense, ce devait être pire. Mais jamais ô grand jamais je n’aurais pu imaginer l’ampleur des dégâts à ce moment-là. » Vers 23 heures, le compagnon de sa fille arrive à rejoindre des pompiers positionné­s à un carrefour, non loin de là. « Il les a persuadés de venir chercher mon frère et mon père. Ça a été difficile parce que le chemin d’accès était encombré d’arbres. Ils ont porté mon frère sur le dos sur près de 200 mètres. Mon père pouvait marcher, lui. Et ils les ont emmenés à l’hôpital. »

« Nous avons la chance d’être encore là »

Si Christian et sa famille s’en sont plutôt bien sortis, l’événement aura laissé des traces indélébile­s. Des trémolos dans la voix, Christian poursuit : « Moi-même et beaucoup d’autres, nous avons la chance d’être encore là. Ce n’est pas le cas pour tout le monde. » Pour le Dracénois, les choses ne pouvaient pas en rester là. Alors il a rejoint les rangs de l’associatio­n pour la défense et la sécurité de la Nartuby (ASDN). Et tire un bilan amer de l’évolution des choses, 10 ans après. « Le temps a passé. On parle moins de tout ça. Certains travaux d’aménagemen­ts ont été faits, c’est très bien, mais largement insuffisan­t. Il faut arrêter de faire des études à la pelle et débloquer les lourdeurs administra­tives. » Et de poursuivre : « Actuelleme­nt, quand il y a une crue, la rivière ne passe plus dans son lit et prend un autre chemin. Parce que tous les sédiments et les matériaux emportés dans des quantités astronomiq­ues sont toujours dans la rivière. Elle a été nettoyée, mais c’est trop superficie­l. Le lit a été rehaussé. Il suffit de se promener le long de la rivière pour s’en rendre compte. » Christian a le sentiment qu’on ne prend pas réellement conscience des problèmes qui subsistent. « J’ai l’impression de ne pas être écouté ni entendu. Et je ne suis pas le seul. Nous avons mis des années à élaborer un plan de travail, si on peut s’exprimer ainsi. On fait des dossiers et des dossiers et rien n’avance. Ce genre d’épisode peut se reproduire demain ou après-demain. Il faut réagir ! Tout ce que l’on peut souhaiter, c’est que nos politiques agissent le plus rapidement possible. Quand il y a le feu, on va chercher les pompiers et on arrose. Le temps ne nous sert pas. Le temps passe, et certains oublient. C’est dramatique. »

‘‘ Il y avait jusqu’à 1,50 m d’eau par endroits”

‘‘ Une vague a défoncé la porte d’entrée”

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Pour Michel Cotton, si dix ans après, « certains travaux d’aménagemen­ts autour de la Nartuby ont été réalisés, c’est largement insuffisan­t. »

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