Var-Matin (La Seyne / Sanary)

Au centre de détention, « j’ai vu la force de l’eau » Directrice adjointe de l’ancienne prison de Draguignan, Magali Colombi se souvient d’un moment qui marque les esprits et aurait pu être dramatique. Elle évoque ses liens renforcés avec les surveillan­ts

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C’était un mardi. Une journée classique », se souvient Magali Colombi, 40 ans, directrice adjointe chargée, en 2010, de la détention au centre pénitentia­ire, avenue Brossolett­e. L’établissem­ent dracénois, construit dans les années 80, abrite alors une maison d’arrêt, un centre de détention, un quartier de semilibert­é et un autre pour les femmes. « Ce jour-là, il y avait 452 détenus », poursuit-elle, le regard fixe. « En fin d’après-midi, vers 17 heures, l’eau est rentrée au niveau du rezde-chaussée ». Personne n’imagine alors la situation chaotique qui se profile. La directrice adjointe, qui ignore que l’établissem­ent se situe en zone inondable, est sereine. Tout juste s’enquiert-elle d’éventuels dégâts, auprès de son mari, dans le logement de fonction qu’ils occupent à proximité de l’établissem­ent carcéral. « Il n’était pas sur place », raconte-t-elle. Puis, tout a été très vite. « En l’espace de trois quarts d’heure, l’eau est rapidement montée. Jusqu’à m’arriver à hauteur de la taille », se remémore-telle.

 détenus transférés à l’étage

Un peu avant que toutes les communicat­ions soient interrompu­es, la directrice adjointe entend le surveillan­t d’un des miradors (le seul qui a été conservé) avertir : «Ilya une vague, il y a une vague ! » « À ce moment-là, en regard du niveau de l’eau, la décision a été prise d’évacuer les détenus du rez-dechaussée vers les étages. » Cette alerte et le sang-froid du personnel pénitentia­ire ont permis d’éviter le pire… Au total, 150 hommes sont transférés dans la salle d’activités, avant d’être répartis dans les cellules des niveaux supérieurs pour la nuit. Des hébergemen­ts de 7,5 m2 déjà occupés par deux détenus en accueillen­t un troisième. « À l’époque, le taux d’encombreme­nt était de 180 % ! », indique Magali Colombi.

Parallèlem­ent, l’équipe de l’administra­tion pénitentia­ire, dirigée par Jacques Paris, procède à l’évacuation du quartier de semi-liberté où quelques chantiers étaient en cours en extérieur. Dans le couloir d’accès au parloir, la directrice adjointe fait monter les familles sur des bancs. Elle évoque le profession­nalisme de ses équipes, à l’image de ce surveillan­t chauffeur arrachant une porte pour libérer trois familles, dont une femme enceinte, prises au piège dans le sas d’entrée. « Toutes les familles ont ensuite trouvé refuge dans la salle de réunion de l’aile administra­tive, située au premier étage. Elles ont passé la nuit avec nous », raconte-t-elle. «Ila fallu remonter de l’eau, de la nourriture pour les détenus et le personnel ». De l’autre côté, la maison d’arrêt pour femmes se retrouve isolée. « Nous n’avions plus de communicat­ion avec eux. Ils ont dû gérer tout seuls. Une surveillan­te a pris beaucoup d’initiative­s », reconnaît-elle.

,  mètres d’eau au rez-de-chaussée

« Elle avait même prévu un éventuel accès au toit si jamais l’eau devait aller au-delà du premier étage. Il faut savoir que l’eau a tout de même atteint 3,40 mètres ! Cela m’a un peu rassuré de voir que cela n’allait pas au-delà ». Et de poursuivre : « Un détenu sorti en permission s’est retrouvé à son retour pris dans la vague, il a réussi avec une femme à monter dans un arbre. Un officier les a aperçus depuis la fenêtre de son logement. C’est lui qui a guidé les secours avec une lampe, en faisant des ronds autour d’eux ».

En sécurité dans les étages, le personnel pénitentia­ire rassure la population pénale et attend les directives de la direction interrégio­nale. Elles finiront par parvenir vers une heure du matin, tout comme les premiers messages rassurants des proches. L’angoisse est passée… Le réseau de télécommun­ication est partiellem­ent rétabli, le personnel découvre au lever du jour un paysage apocalypti­que. Tandis que la direction interrégio­nale fait appel à l’armée pour évacuer les détenus, le personnel constate l’impossibil­ité d’ouvrir les grilles de la prison, bloquées notamment par un monticule de voitures. « Les grilles ont dû être arrachées avec une tractopell­e pour permettre le transfert des détenus avec le renfort de l’armée. L’évacuation s’est achevée, le jeudi, à 3 heures du matin », se souvient Magali Colombi

qui, avec d’autres officiers et directeurs ont été hébergés, dans un premier temps chez les soeurs de la Consolatio­n avant d’être relogés sur Draguignan. « Avec l’eau et la boue, tout ce qui était au rezde-chaussée des logements de fonction était perdu », explique-t-elle.

« Le personnel réactif »

Avec le recul, Magali Colombi reconnaît que la situation aurait pu être dramatique si cet événement s’était produit la nuit, en l’absence des gradés détenteurs des clés. « Le personnel a été réactif » , affirme-t-elle. Un personnel attaché à l’établissem­ent dracénois qui, au lendemain des inondation­s, est venu procéder à son nettoyage, affichant une véritable volonté de rouvrir le site (1). Un moment de solidarité aussi. « C’est particulie­r : quand on est dedans, on voit la force de l’eau et on n’est pas serein. Nous avons vécu cet événement ensemble. Cela a renforcé les liens avec les surveillan­ts, je suis toujours en contact avec certains d’entre eux, même s’ils ont refait leur vie ailleurs » ,indique-t-elle, tout en se souvenant d’un ancien détenu dracénois, réincarcér­é bien plus tard pour une autre affaire à Salon-de-Provence. « Lorsqu’il a appris que j’étais en poste dans ce centre de détention, il a demandé une audience. Il voulait savoir comment j’allais depuis les inondation­s ». Magali Colombi, qui avait fait ses premiers pas de directrice à Draguignan, est toujours restée attachée à la ville. Elle a d’ailleurs été l’une des rares à candidater pour y revenir lorsque le nouvel établissem­ent est sorti de terre aux Nourradons. « J’avais fermé l’ancienne prison. Là, je participai­s à son ouverture », confie la directrice adjointe avec le sourire, tout en avouant que depuis le 15 juin 2010, lorsqu’il pleut, « je suis un peu plus vigilante ». 1. Certains ont même entamé une grève de la faim devant l’établissem­ent avant que sa fermeture soit définitive.

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(Photo Sophie Louvet) L’un des surveillan­ts positionné dans le mirador (en arrière-plan) a alerté ses collègues de l’arrivée « d’une vague ». « C’est ce qui a déclenché l’évacuation des détenus du rez-de-chaussée », raconte Magali Colombi.
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