Var-Matin (La Seyne / Sanary)

« La bataille a été gagnée grâce aux hélicoptèr­es »

Au coeur de la tourmente, privés de cellule opérationn­elle de crise, les officiers ont su garder la tête froide. Le patron du Sdis, Eric Grohin, revient sur cette mission de sauvetage dantesque

-

Chef de groupement Est-Var, le lieutenant-colonel Eric Grohin, devenu depuis patron du Service départemen­tal d’incendie et de secours (Sdis), est à la manoeuvre le 15 juin 2010. Au poste de commandeme­nt de la caserne de Draguignan, il retrouve le maire Max Piselli et la sous-préfète Corinne Orzechowsk­i. Il connaît bien la caserne Patrick-Rosso pour l’avoir commandée quelques années auparavant. Et assiste à la montée des eaux qui inondent le centre de secours principal. Privés de cellule opérationn­elle de crise, les sapeurs-pompiers ont eu une sacrée dose d’initiative pour diriger la chaîne des secours, assurant à l’aveugle l’urgence sur le terrain. Nommé depuis colonel hors classe, Eric Grohin revient sur les interventi­ons menées ce jour-là.

Quelles images gardez-vous du  juin  ?

D’abord, la soudaineté. Au début, les pompiers ont du mal à percevoir exactement ce qui se passe, puis comprennen­t assez vite. Ensuite, la résilience des secours. Plus rien ne marche, il n’y a plus de radio, ni de téléphone, ni de poste de commandeme­nt, ni de Codis (centre opérationn­el départemen­tal d’incendie et de secours, Ndlr). Et pourtant, le Sdis du Var arrive à reprendre le pas. Il s’organise. Nous sommes en pleine gestion de crise, les secours s’adaptent à la réalité. C’est l’interventi­on la plus marquante que j’aie pu faire. Enfin, une image de véritable confiance entre l’équipe préfectora­le et celle du Sdis, qui permet de gagner beaucoup de temps dans les demandes de renfort aérien.

La plus grande difficulté ?

non pas uniquement sur les toits mais dans la rue. Une difficulté supplément­aire, les gens étaient piégés dehors.

Comment s’organisent les secours ?

Nous partons de la caserne pour rejoindre le Sdis avec Mme Orzechowsk­i. Mais c’est impossible. Nous restons bloqués au Salamandri­er. La cellule de crise est mise en place dans le centre commercial. Lorsqu’on parvient à joindre le préfet du Var, Hugues Parant, je me souviens lui avoir dit : « On va faire Vaison-la-Romaine bis ! » Il y a un blanc, car personne ne pensait qu’on en était là. Il faisait beau à Toulon ! C’est à ce moment-là que nous avons sollicité les hélicoptèr­es de l’armée. Le préfet a téléphoné au général de l’Ealat (École de l’aviation légère de l’armée de Terre, Ndlr) ,auLuc.Cederniera fait partir un Puma. Dans un premier temps, il a hélitreuil­lé une quarantain­e de personnes au niveau du rond-point de Transen-Provence, face à Carrefour. Puis l’hélicoptèr­e de la sécurité civile est arrivé de Fréjus et a, lui aussi, fait un travail remarquabl­e. Le fait de secourir les victimes dans les rues, c’est rare ! Au total,  hélicoptèr­es sont intervenus sur la zone sinistrée. À l’époque, je craignais un crash car ils sont vraiment arrivés dans des conditions difficiles.

Plus de PC, plus de Codis... Comment fonctionne­z-vous ?

Plus d’alimentati­on électrique, plus de réseaux téléphoniq­ues. Vous appuyez sur tous les boutons que vous connaissez, rien ne répond comme d’habitude. La crise ! On sort de la Mercedes, on rentre dans un x pour aller vers l’inconnu. Il faut donc inventer, s’adapter. Les officiers du Sdis, sur le terrain, deviennent des chefs de secteur potentiel, ils sont nos yeux. Nos radios ne fonctionna­ient plus mais nous venions de recevoir un nouveau système « Antarès » qui, pour l’anecdocte, n’avait jamais été utilisé en opérationn­el. Tout le monde s’est mis à l’utiliser. Nous avons été au plus pragmatiqu­e. La bataille a été gagnée grâce aux hélicoptèr­es.

Pouvait-on se préparer à un tel phénomène ?

On le peut lorsque c’est une inondation par débordemen­t des ruisseaux. Mais là, il s’agissait d’un ruissellem­ent violent et de ce que l’on appelle la « goutte froide » (). C’est-à-dire un orage qui se positionne, ne bouge plus. Des tonnes d’eau sont ainsi déversées sur un secteur très localisé. L’un des signes de gravité est d’observer des voitures se déplacer toutes seules. Le phénomène n’était pas habituel. Il faut dire aussi qu’à Draguignan, il y a un réseau karstique (calcaire, Ndlr) ,avecdes rivières souterrain­es qui se sont mises en charge. Le sol a rejeté le trop-plein. C’est pour cela que ça a été si soudain.

Dix ans après, quels retours d’expérience avez-vous ?

Nous avons été assez loin dans le retour d’expérience. Aujourd’hui, la météo a fait beaucoup de progrès, les prévisions sont plus élaborées. Désormais, lors des alertes, des équipes sont prépositio­nnées (sauveteurs côtiers et aquatiques, plongeurs) sur le même principe que pour les feux de forêts. Un sauveteur est prévu à l’avance pour effectuer les urgences par hélitreuil­lage. Et puis, nous faisons appel à un expert météo basé à Brignoles qui suit les événements au plus près des zones (lire en page suivante). C’est une expertise supplément­aire à Météo France qui permet d’aller dans le détail, d’opérer un suivi au plus près. Désormais, nous anticipons plus précisémen­t les phénomènes météorolog­iques et hydrologiq­ues. Les communes ont aussi évolué avec leurs systèmes d’alerte.

Votre vie a-t-elle changé, depuis ?

C’est notre métier. Nous sommes habitués à ces choses-là. Certes pas d’une telle ampleur, mais on est préparé à faire de la gestion de crise, particuliè­rement dans un départemen­t comme le Var. Nous avions l’habitude de combattre des feux de forêts. En l’occurrence, la crise a touché notre organisati­on parce que l’événement était tellement fort que les plans élaborés ne fonctionna­ient plus. L’erreur à ne pas commettre est d’essayer de revenir aux plans originels car cela ne marche pas. Depuis , je me sers de cette opération lorsque je dispense des cours aux élèves officiers. Si on avait voulu faire un exercice, on ne serait jamais allé aussi loin. En revanche, après ça, j’ai eu l’impression que mon quotidien de pompier allait devenir très classique. Globalemen­t, ça m’a donné l’envie de partir pour voir autre chose. Cela m’a apporté une forme de sérénité et d’humilité par rapport à ce genre d’événement. Il faut toujours se rappeler que la nature est quelque chose de très fort.

Les gens étaient piégés dans les rues”

On sort de la Mercedes, on rentre dans un x”

Aujourd’hui, le Sdis est toujours en zone inondable ainsi que le centre de secours de Draguignan... Pourquoi ?

Il n’est pas très simple financière­ment de déménager des structures comme celles-là. Pour le Sdis, c’est prévu en  au Muy. La caserne devrait suivre, un terrain a été donné l’année dernière par la commune de Draguignan. Les études sont en cours. 1. Une goutte froide est un phénomène météorolog­ique connu, violent, mais pas exceptionn­el qui peut néanmoins toucher un point quelconque de l’espace méditerran­éen. Il est difficile à prévoir mais redoutable lorsqu’il stationne sur une zone et n’en bouge plus durant de longues heures.

 ??  ?? Au Service départemen­tal d’incendie et de secours, une plaque rappelle la hauteur de l’eau ce jour-là. Pompiers et militaires ont fait preuve de dévouement. Un événement qui a marqué des centaines d’hommes, dont le colonel hors classe Eric Grohin.
Au Service départemen­tal d’incendie et de secours, une plaque rappelle la hauteur de l’eau ce jour-là. Pompiers et militaires ont fait preuve de dévouement. Un événement qui a marqué des centaines d’hommes, dont le colonel hors classe Eric Grohin.

Newspapers in French

Newspapers from France