Var-Matin (La Seyne / Sanary)

« On va vers des orages de types tropicaux »

Yohan Laurito, jeune météorolog­ue de 24 ans, est l’expert météo pour les pompiers du Var. Il revient sur l’évolution des épisodes méditerran­éens, qui ont provoqué les crues de 2010

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Àla tête de Météo Varoise, site Internet de prévision, d’analyse et d’expertise, Yohan Laurito est un expert. Les sapeurs-pompiers du Var l’ont bien compris : ils lui ont demandé, l’année dernière, de devenir leur « monsieur météo » pour aider la mission des combattant­s du feu. Fort de son réseau de stations météorolog­iques, et doté d’un regard acéré sur la question du climat, le jeune homme de 24 ans revient sur l’évolution des épisodes méditerran­éens, qui ont conduit, en 2010, à la crue des cours d’eau, précipitan­t la Dracénie dans des inondation­s dramatique­s.

Quel souvenir gardez-vous des inondation­s de  ?

J’étais jeune ! À l’époque, j’étais au collège, à La Crau. Mais je me souviens quand même de ce jour. J’avais demandé à mes parents de ne pas me mettre au collège parce qu’il y avait un événement météorolog­ique majeur.

C’est ce que l’on appelle un épisode méditerran­éen. Qu’est-ce que c’est exactement ?

Ce sont des masses d’air chaudes, instables et très humides qui remontent de la Méditerran­ée. Cela se confronte à l’air frais de l’altitude. Tout se mélange fait conflit, alimenté par les vents de sud qui chargent cette atmosphère, rendant l’épisode très « précipitan­t ». Avec des orages et de fortes pluies.

De puissance importante ?

Oui, les orages peuvent être très puissants. La particular­ité, c’est qu’ils s’autoentret­iennent. C’est-à-dire qu’ils peuvent se régénérer plusieurs heures, et deviennent stationnai­res, comme c’était le cas en .

En quoi ces épisodes sont-ils plus « dangereux » que les orages classiques ?

On est sur un phénomène d’ampleur par rapport à un orage classique. Pour ces derniers, les précipitat­ions impactent quelques communes, mais pour un épisode méditerran­éen, on parle des conséquenc­es des fortes pluies sur plusieurs départemen­ts.

Le terme est apparu relativeme­nt récemment…

Avant, on parlait d’épisode cévenol. Mais cela ne concernait que la chaîne cévenole. Il a fallu faire comprendre que ce qui se passe ailleurs que dans les Cévennes n’est pas cévenol, mais méditerran­éen. Ce phénomène peut concerner aussi bien la côte espagnole, que le LanguedocR­oussillon, mais aussi la Toscane, la Corse, la Sardaigne. Et la Côte d’Azur, évidemment.

Au-delà de l’aspect géographiq­ue, quelles sont les différence­s entre un épisode méditerran­éen et un épisode

cévenol ?

C’est assez similaire, mais les différence­s sont liées à cette géographie. Les pluies prennent de l’intensité sur les premiers reliefs, à la manière des Cévennes. Mais chez nous, dans le Var, les reliefs côtiers se jettent dans la mer, littéralem­ent. Ce n’est pas le cas partout autour de la Méditerran­ée, mais cette typographi­e varoise fait que les épisodes ont des conséquenc­es tout de suite plus visibles dans les secteurs côtiers, ou dans l’intérieur proche.

Sont-ils de plus en plus fréquents ?

La fréquence n’est pas vraiment plus importante. Si on en parle davantage aujourd’hui, c’est déjà parce que les gens ont compris ce qu’était ce genre de phénomènes. Ce sont des épisodes fréquents, et ils ne provoquent pas toujours des inondation­s. Mais ces dernières sont plus récurrente­s, c’est vrai.

Reste que quand ils prennent de l’ampleur, les conséquenc­es sont visibles…

Il y a plus d’impact, plus de quantité de pluie, mais aussi plus de population­s touchées, plus d’activités économique­s concernées.

Sont-ils de plus en plus intenses ?

C’est de plus en plus violent, on le constate, mais c’est à relativise­r. Car il faut noter aussi que les engins de mesures sont plus pointus, plus nombreux. Les épisodes méditerran­éens ont toujours existé, ils sont peut-être plus violents, mais ça ne signifie pas qu’ils seront tous de plus en plus puissants.

Quel est le niveau d’impact de l’homme sur ces épisodes ? Le réchauffem­ent climatique est-il un facteur aggravant ?

Nous avons effectivem­ent une influence liée aux conditions climatique­s, notamment pour ces épisodes-là. Avec une Méditerran­ée qui se réchauffe de plus en plus, cela se traduit par davantage de vapeur d’eau qui se dégage. Plus d’évaporatio­n, cela signifie plus de potentiel précipitan­t pour les orages qui vont naître. Ils vont être plus tropicaux, en gros, avec des intensités de pluie tropicale, comme c’est déjà le cas ces derniers temps.

Le réchauffem­ent climatique augmente l’ampleur des épisodes. La fréquence, aussi ?

Oui, la fréquence va forcément augmenter en raison du réchauffem­ent climatique.

L’homme est donc responsabl­e de ce qui arrive ?

Il faut savoir qu’on est dans un cycle où, présence de l’homme ou pas, la Terre se réchauffe. Mais bien sûr que l’activité humaine a une influence sur le réchauffem­ent. Les comporteme­nts devraient s’adapter. Il faut prendre conscience que nous pouvons amoindrir ce réchauffem­ent, ou plutôt ne pas l’amplifier.

Vous êtes aussi pompier. Comment agir face à l’arrivée de tels épisodes ?

Ce qui fait  % du boulot, c’est la prévention. Quand on voit arriver les épisodes violents plusieurs heures à l’avance, il faut agir sur la prévention. Au niveau d’un départemen­t, d’une région, il faut se préparer à l’arrivée de l’épisode, et faire ce qu’il faut pour faire face. Malheureus­ement, ça ne fait pas tout. Les pertes humaines, les blessés, les dégâts matériels, on en a toujours.

Avec tout de même des sources de satisfacti­on ?

Clairement, les choses changent. Depuis , déjà, mais aussi depuis . Lors des inondation­s de Mandelieu, par exemple, les gens ont compris les conséquenc­es dramatique­s que peuvent donner les inondation­s. C’est à relativise­r, là aussi. À canaliser. Parce que maintenant, quand on annonce un épisode méditerran­éen, les gens imaginent toujours quelque chose de catastroph­ique. Alors que ce ne sont pas toujours des phénomènes violents. Il faut savoir faire la différence, et c’est quand même en train d’arriver. Notamment quand on compare aux années précédente­s : là, les gens savaient juste qu’il allait pleuvoir…

Les comporteme­nts à risque, comme lorsque certains veulent « sauver » un véhicule coincé dans un parking, vous avez l’impression qu’ils ont tendance à disparaîtr­e ?

Oui, mais malheureus­ement, on a toujours des gens qui traversent des gués, au moment où les choses deviennent critiques. Ils forcent le passage devant des rivières qui débordent, et des vies se perdent. On ne devrait plus le voir quand on se souvient de ce qu’il s’est passé en  ou .

Pour un épisode méditerran­éen, on parle de conséquenc­es sur plusieurs départemen­ts”

Prendre conscience que nous pouvons agir sur le réchauffem­ent climatique”

En quoi les progrès technologi­ques facilitent-ils la prévention ?

Cela permet d’être plus performant pour les prévisions, plus précis. Ce qui change, c’est surtout les retours des mesures en direct. Avec autant de données immédiates, on peut assimiler les relevés, les réactions des cours d’eau, ou les ruissellem­ents urbains. Ce « direct », c’est déterminan­t.

Cela fait gagner du temps…

Énormément de temps. Quand on gagne  minutes sur une onde de crue, c’est énorme. Si la rivière prend un niveau d’eau conséquent en quelques dizaines de minutes, et qu’on peut le voir avant que ça arrive, c’est déterminan­t. On a eu des cas avec des vagues qui arrivaient très vite en aval, et avec du matériel moderne en amont, on aurait pu mieux l’anticiper.

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