Gambé de Vergnes : « On se croyait dans un film sur le Vietnam »
Il y a dix ans, Philippe Gambé de Vergnes était commandant au Centre de gestion des interventions (CGI) Est de Fréjus, situé à la base nature. Aujourd’hui lieutenant-colonel au Sdis à Draguignan, ce pompier était en première ligne lors de l’inoubliable soirée du 15 juin 2010. « J’avais justement rendez-vous au Sdis à Draguignan cet après-midi-là. Déjà, sur l’autoroute, la pluie était énorme. Jusqu’au Muy, j’ai roulé à 20 km/h et lorsque je suis sorti, j’ai vu une première toiture s’écrouler. À ce moment-là, je me suis dit que cela commençait à sentir mauvais… » Dans l’impossibilité de rallier la cité du Dragon, Philippe Gambé de Vergnes décide de rebrousser chemin et de rejoindre la caserne de la base nature. « Avec les pires difficultés pour rentrer, précise-t-il. Nous avions eu des problèmes de communication, à l’image du standard du Sdis qui était tombé en rade en raison de la montée des eaux. Nous nous étions tous mis en alerte pour un orage disons normal, mais au fil des minutes, l’eau est montée, montée, mon- tée… »
Plus de hélitreuillages en quelques heures
Dans la soirée, les pompiers fréjusiens reçoivent les premières images de Draguignan : « Lorsque j’ai vu qu’il y avait 1,80 m d’eau dans la cour du Sdis, je suis resté sans voix. C’était du jamais vu. Nous avions l’habitude de gérer des situations avec 20 cm d’eau mais des inondations aussi violentes, non ! Beaucoup de mes collègues sont restés coincés sur les lieux de leurs interventions. » Autoroute coupée, plaine de l’Argens inondée, quartiers inaccessibles, les appels de détresse ont commencé à affluer de toutes parts. « Pompiers, policiers, gendarmes, douaniers, militaires, nous étions tous sur le terrain pour sauver des vies. Ce qui m’a personnellement le plus impressionné, ce sont les rotations incessantes des hélicoptères, se souvient le commandant de l’époque qui, de Fréjus, en gérait les allées et venues. Toutes les salles municipales mises à disposition par la ville de Fréjus étaient pleines à craquer. On se croyait dans un film tourné sur la guerre du Vietnam. La base nature res- semblait à un véritable porte-avions. Dans l’urgence, les hélicoptères hélitreuillaient les personnes qui étaient restées coincées pour les mettre à l'abri sur des toits d’habitations. Puis, ils repartaient au secours d’autres sinistrés. Je crois savoir qu’en même pas 24 heures, il y a eu quelque 1300 hélitreuillages… »
« Durant jours, j’ai dormi dans le local à photocopieuse… »
Outre sa mission de secours à la population, dans son for intérieur, Philippe Gambé de Vergnes nourrit alors une inquiétude toute légitime. « Comme tous mes collègues, j’avais la tête dans le guidon. Puis, à trois heures du matin, j’ai foncé à mon domicile pour aller récupérer ma famille isolée dans notre maison elle aussi inondée. Il y avait 60 cm d’eau dans la chambre. Nous sommes tous revenus au CGI de la base nature où je suis resté, non-stop, jusqu’au vendredi midi avant d’être remplacé. Durant 4 jours, j’ai dormi dans le local à photocopieuses alors que mon épouse donnait un coup de main au secrétariat du groupement à la base nature. » Cette date du 15 juin 2010 restera à jamais gravée dans sa mémoire. Depuis, les sapeurs-pompiers du Var ont appris et retenu les leçons de ces jours tragiques. « Aujourd’hui, nous sommes plus armés face à ce type de situations extrêmes. Il y a eu une vraie prise de conscience, notamment de la part des municipalités qui ont mis en place un plan de sauvegarde, aujourd’hui plus efficace, au niveau des communes. Depuis ce 15 juin, les mentalités ont changé, le système a évolué. Nous sommes tous montés d’un cran. Nous sommes désormais mieux armés pour intervenir encore plus efficacement. » Plus performant, il n’y a plus de doute, mais intervenir le moins possible serait la meilleure des nouvelles pour tous ceux qui ont vécu le 15 juin 2010.