La PJ de Nice enquête sur les maisons fantômes de Détroit
Le rêve immobilier américain vire au cauchemar. 450 Azuréens, Varois et Monégasques croyaient avoir acheté 1 200 villas dans le Michigan. L’affaire a été confiée à la brigade financière niçoise
Les investigations sur l’affaire des 1 200 villas fantômes de Détroit vendues à 450 investisseurs français, essentiellement azuréens, varois et monégasques, sont lancées. À la suite d’une plainte contre X portée Me Sauphanor au nom d’un groupe d’une dizaine de victimes, le parquet de Grasse s’est saisi de l’affaire. En fin de semaine dernière, une enquête préliminaire a été ouverte et confiée à la brigade financière de la police judiciaire de Nice. Le temps judiciaire qui permettra de débrouiller les responsabilités de cette vaste escroquerie de plus de quarante millions de dollars risque d’être long.
Le filon américain
C’est à Détroit dans le Michigan que l’essentiel des vérifications devra être effectué. Depuis 2016, sous l’enseigne de la société D3 Invest, Paul De Bastos, un Français de Miami, semblait avoir trouvé le filon idéal pour des placements immobiliers sans risque avec garantie de rentabilité locative immédiate. Après une crise terrible en 2008 qui l’a laissée au bord de la faillite, la ville de Détroit connaît une sorte de renouveau. Dans le Wayne County notamment, l’ancien quartier de la classe moyenne afro-américaine, les villas à la vente sont légion. Paul de Bastos n’est pas le seul intervenant sur ce marché. Domicilié à Plantation en Floride, il cherche des relais en France. Très vite à Sophia Antipolis, Anthom Patrimoine, société dirigée par Sébastien Rogge, devient son intermédiaire exclusif en France. Le produit est, il est vrai, séduisant. Le prix moyen de ces villas est inférieur à 60 000 $. Certains acheteurs les payent cash [lire ci-dessous]. La plupart des acquéreurs azuréens – plus de 315 sur les 450 victimes présumées – optent, eux, pour la sécurité d’un crédit vendeur qui, d’ailleurs, leur est proposé clé en main par D3 Invest. L’investissement sur cinq ans leur assure, dès la signature de l’acte d’achat, un loyer garanti par D3 Invest de 800 à 850 $ mensuels. Certains, très rares, se déplacent dans le Michigan pour juger sur pièce. L’immense majorité des 315 acquéreurs azuréens fait confiance à Sébastien Rogge. Jusquelà, la carrière de ce dernier est une succes-story sans tache. Ils signent... en aveugle. Deux gros investisseurs achètent une centaine de maisons. Mais l’immense majorité des acquéreurs est constituée de simples salariés, souvent des couples de jeunes actifs, beaucoup de retraités et même une quinzaine d’étudiants. Les heureux propriétaires de ces home sweet home américains ont le sentiment qu’ils ont fait un bon investissement. Sur des comptes qu’ils croient personnels – ouverts par D3Invest chez PEX : une filiale de Visa –, les loyers tombent régulièrement... parfois depuis 2016.
La ville fantôme
Jusqu’au 10 janvier dernier ! Ce jourlà, le site sur lequel les investisseurs azuréens pouvaient suivre en temps réel la gestion de leur patrimoine américain est mis en rideau. Pire, les comptes personnels PEX sont vidés de plus de 2,4 M$. Depuis lors, aucun des investisseurs azuréens n’a pu obtenir la moindre explication. La crise du Covid-19 n’a rien arrangé à leur angoisse. Paul de Bastos étant aux abonnés absents à Plantation en Floride, ils se tournent vers le patron d’Anthom Patrimoine à Sophia Antipolis : « Je suis victime comme vous d’une escroquerie qui me dépasse, leur certifia-t-il. J’ai tout perdu, mais je me battrais jusqu’au bout pour que vous retrouviez votre argent. » Rien qui ne satisfasse les acquéreurs de ce qui, désormais, s’avère être une ville fantôme. En attendant que la justice se saisisse de leur plainte, ils ont multiplié les investigations, apprenant ainsi qu’ils avaient acheté du vent. Découvrant que les actes de propriété qui leur avaient été transmis n’étaient que monnaie de singe. Sans qu’on les en informe, ces documents – pourtant officiels – avaient été purement et simplement annulés auprès du service du cadastre de la ville de Détroit, quelques jours ou quelques semaines après qu’ils eurent payé D3 Invest ou RBF Retomas Bancos Florida Trust, deux sociétés détenues de Paul de Bastos. Etudiant en informatique, Antoine, un Niçois de 24 ans, est l’une des toutes dernières victimes de cette escroquerie. Convaincu par un influenceur, engagé pour vanter les mérites de ces investissements américains sur Instagram, Antoine a perdu plus de 30 000 $. « J’ai contracté un prêt étudiant de 30 000 €, heureusement différé sur cinq ans. Avec le loyer de 800 $, j’étais trop content de pouvoir soulager mon père – qui est loin de rouler sur l’or – du poids du financement de mes études. Comme mon crédit étudiant ne pouvait pas être utilisé pour l’acquisition d’un appart, j’ai dû jongler afin de payer les honoraires de M. Rogge et la société RBF Trust de Paul de Bastos pour l’acquisition proprement dite. »
La valse des plaintes
Une double catastrophe. Antoine sait désormais que la villa dont il croyait être propriétaire dans le Wayne County, appartient bien à quelqu’un mais définitivement pas à lui...: « Récupérer notre argent ? C’est mal barré. Mais on fera tout pour que les initiateurs de cette pyramide de Ponzi [une victime achète un bien et reçoit des loyers qui sont, en fait, financés par le recrutement d’une deuxième victime escroquerie, ndlr] soient confondus et que cela cesse ! » Par l’entremise de son conseil, Me Yael Godefroy, Paul de Bastos, qui a toujours pignon sur rue en Floride et à Détroit, se disait, hier, à la disposition des enquêteurs, tout en annonçant qu’il venait de déposer plainte pour « dénonciation calomnieuse » contre Sébastien Rogge. Ce dernier, à Sophia Antipolis, maintenait, lui, sa version des faits : «Je suis aussi une victime. J’ai d’ailleurs saisi les plus hautes autorités financières américaines afin de récupérer l’argent qui a été volé à mes clients. » Dans un contexte de feu et de contre-feu, Me Bianchi, l’avocat de Sébastien Rogge, a saisi le procureur de la République de Grasse d’une nouvelle plainte pour « menace et tentative d’extorsion ». La brigade financière de la PJ de Nice a manifestement du pain sur la planche.