Var-Matin (La Seyne / Sanary)

Jean Imbert pose sa toque à Saint-Tropez

En collaborat­ion avec son complice, l’artiste américain Pharrell Williams, le cuisinier installe une table autour de la cuisine de rue à Saint-Tropez, sur la terrasse du White Hotel 1921

- PROPOS RECUEILLIS PAR N. SA.

Depuis qu’il a posé un pied dans la cité, son appareil photo en main, le cuisinier Jean Imbert croque des ambiances avec délice, savoure ces instants de découverte autour des produits locaux. Chef d’orchestre de cette aventure culinaire, ToShare, un café-restaurant implanté sur la terrasse du White Hotel 1921, mais sans son acolyte créatif, le musicien américain Pharrell Williams, bloqué aux États-Unis par la pandémie. Entretien en solo, avec un Breton évadé volontaire dans le Sud.

Comment appréhende­zvous cette ouverture ?

On se lance dans le grand bain, après six mois de travail. On croit avoir pensé à tout et, parfois, ce n’est pas le cas. De toute manière, c’est un métier qui s’exerce avec de l’adrénaline.

Est-ce que ce projet ToShare, imaginé à la base à Paris, est identique ?

Oui, au départ, cela devait se faire à Paris. La seule chose qui a été adaptée finalement, c’est la matière première car on voulait travailler avec de la matière locale et de saison. En plus, on parle d’une localité vraiment marquée, avec les produits du Sud. J’étais encore ce matin avec un producteur de fleurs de courgette, c’était un plaisir.

La carte a une couleur européenne-asiatique mais réalisée donc avec des produits locaux.

Hormis quelques produits que l’on est obligé d’importer,  % de la carte sont des produits d’ici. Il ne s’agit pas de prendre du thon rouge aux Maldives, il arrive de Méditerran­ée. Les tomates, elles ne prennent jamais le frigo, elles sont récoltées le matin même. Et moi qui ne connaissai­s pas la région, pour être honnête, j’adore cette découverte.

Dans cette découverte du Sud, vous avez eu un bon guide...

J’ai la chance d’être adossé à un groupe qui a une excellence via Cheval Blanc, avec Arnaud Donckele, chef  étoiles. Il nous a mis en contact avec quasiment tous ses producteur­s, son souschef a travaillé main dans la main avec mon chef. Ça fait cliché de dire que c’est une famille, mais c’est vrai : quand j’ai eu besoin de trouver certains produits, Arnaud nous a aidés. Il faut imaginer, ce sont des années et des années de travail pour arriver à un producteur et on a pu en profiter rapidement. Là, on présente à la carte « un bol de légumes d’ici » récoltés le matin avec une petite sauce au sésame noir. Je suis assez content de juste présenter ça.

On a vu une séance de test avec lui, cela semble naturel pour les chefs de s’entraider ?

Il y a deux approches dans le métier de cuisinier : on peut estimer qu’il est personnel, et je sais qu’il peut être concurrent­iel. Moi, je ne l’approche pas du tout comme ça, il y a une vraie fraternité : quand j’ai commencé avec Cheval Blanc, j’ai été accueilli par les chefs Yannick Alléno et Arnaud Donckele comme un vrai partenaire. Moi, ça me touche.

Vous êtes admirateur d’eux ?

Je les respecte car ce sont de très grands chefs. Moi, j’ai toujours été fan comme un enfant des très grands chefs. J’ai tous leurs livres à la maison. Quand j’étais petit, il y a deux choses qui m’ont donné envie de faire ce métier : ma grand-mère et les grands chefs. Quand on parlait de Michel Guérard, de Joël Robuchon, ça me faisait rêver. Maintenant, de pouvoir leur parler, je ne dis pas d’égal à égal parce que je ne me considère pas comme un chef, mais de leur parler entre chefs, même si je préfère “cuisinier”, ça me fait plaisir.

La couleur de ce caférestau­rant, c’est street food ?

Ce n’est pas aussi simple. Peut-être le mot est devenu réducteur car on l’associe à un burger. Pour moi, la vraie street food, c’est sur un marché à Hanoï, dans une rue à Tokyo. Ce n’est pas si réducteur, si elle est associée à de bons produits. J’émets des réserves sur le côté standardis­é de la street food. Par exemple, on propose un sandwich japonais revisité : un pain au lait fait au coeur de la place des Lices avec une énorme tranche de tomate ananas et un caviar d’aubergine.

Plutôt tendance végétarien...

Ce n’est pas non plus complèteme­nt végétarien –  % des plats, tout de même. On a une seule viande, deux poissons sur toute la carte. Je suis pour la mixité : je ne suis pas végétarien, je ne suis pas fou de viande, je ne suis pas fou de poisson... J’ai l’impression que la meilleure façon écologique de consommer pour soi, pour la planète, c’est de consommer local, de saison, mais surtout varié.

N’est-ce pas contradict­oire d’amener de la street food sur une table ?

Si... mais pas forcément contradict­oire. En fait, je ne sais pas si c’est le mot que j’ai envie d’employer : je pensais plus à un mix entre la street food et les plats de partage. J’adore qu’on pose tout au milieu de la table et, quand j’ai créé cette carte, j’avais envie de faire une cuisine simple. Une cuisine qu’on mange avec les mains, qu’on picore. C’est cet esprit-là que je recherche.

Cuisiner, c’est chercher : qu’est-ce que vous avez cherché et trouvé pour distinguer ToShare ?

La carte, elle a changé dix fois depuis une semaine. Moi, je n’aime plus le système entrée-plat-dessert, chacun avec son assiette devant lui. C’est plus cette philosophi­e que j’ai envie de créer. C’est ce que je veux quand je reçois des amis chez moi. C’est marrant, ça m’est vraiment venu avec Pharrell Williams car il avait cette culture street food justement, et de partage où on met tout au milieu de la table. Un peu comme dans un banquet. Ce n’est pas le banquet d’Astérix, mais... c’est son esprit.

Quel duo formez-vous avec Pharrell pour ToShare ?

On a tout mixé, on a fait ses plats fétiches, comme la salade caesar – même si ce n’en est pas vraiment une : il n’y a pas de poulet, pas de parmesan – mais avec une sauce secrète. C’est le premier plat que je lui ai servi il y a dix ans. La déco, il a tout vu avec une architecte qui travaille avec moi, Victoria Migliore. Elle est de la région et a créé la direction artistique. Le logo, il a voulu le changer quinze jours avant. J’adore l’énergie créative, de se dire : “on est avec un artiste, un peu touche-à-tout et qui nous pousse dans nos retranchem­ents”. On n’est pas dans une zone de confort, et c’est ce qui nous rend meilleur.

A-t-il déjà cuisiné pour vous ou est-ce qu’il a eu sur vous une influence culinaire ?

Hum ! Il a fait une sauce tomate avec son frère mais très sucrée, donc c’était pas pour moi. Il m’emmène dans des endroits, il adore la cuisine asiatique, juste un nem roulé dans une feuille de shiso, avec une belle langoustin­e. Ce que j’aime bien, quand je l’ai rencontré, ce n’était pas quelqu’un forcément alerte sur les produits de saison, sur une philosophi­e assez simple : on est ce que l’on mange. Je suis fier de l’avoir amené sur cet univers-là qui n’est pas le sien, qu’il se demande comment poussent tous ces produits.

Un mot sur votre chef, Diego Alary, aventurier­cuisinier de Top chef .

Diego, il voulait faire du foot, il est venu à  ans frapper à ma porte, je lui ai offert un café, je venais de gagner Top chef. Ça a toujours été un proche. Il a travaillé avec Alain Ducasse. Quand il a fait Top chef, je l’ai beaucoup soutenu. Il est jeune, mais fort dans l’approche de connaître la matière première, inspirant pour les équipes. Je suis fier qu’il m’accompagne dans ce projet.

Cette période de confinemen­t a été très dure pour les restaurant­s, mais les Français ont retrouvé le chemin de leur cuisine.

Il faut voir sur le long terme. C’est clair que les Français se sont remis en cuisine. Moi, c’est tellement mon ADN, cela me semble tellement sensé, évident, que je ferme les yeux sur ceux qui ne le pensent pas. Je suis content s’ils achètent des produits frais. J’espère que cela ne va pas s’arrêter avec la fin de cette période compliquée.

J’avais envie de faire une cuisine simple. Une cuisine qu’on mange avec les mains, qu’on picore”

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(Photo Sophie Louvet) Jean Imbert, chef d’orchestre de cette aventure culinaire, ToShare.

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