Migration, fraternité et humanité ?
Engagé pour Médecins du monde, le docteur Jean-François Corty livre une oeuvre coup de poing, témoignage argumenté, sur l’accueil réservé aux peuples migrants, notamment au « Pays des droits de l’homme ».
Médecin engagé depuis vingt ans au sein d’ONG humanitaires et médico-sociales, en France comme à l’étranger, Jean-François Corty maîtrise son sujet. Depuis plusieurs années, il est devenu, un peu malgré lui, un « expert en question migratoire » régulièrement invité sur les plateaux télé. Mais d’écume des choses en contradicteurs démagos, de raccourcis faciles et populistes en traitement par la peur de ces drames humains, le médecin n’est pas à son aise sous les feux de l’appareil médiatique. Adepte de l’humanitaire façon Rony Brauman plutôt que Bernard Kouchner, le docteur Corty a vu du pays, en Érythrée, en Afghanistan, au Niger, à Saint-Denis ou à Calais. Car c’est bien là l’essentiel de son discours : en termes de conditions d’accueil des peuples réfugiés, la France est bien loin d’être exemplaire. Le médecin livre sans fard ses expériences, souvent mauvaises, mais parfois empreintes de cette humanité, de cette fraternité qu’il cherche. Il évoque ainsi Grande Synthe,
le navire Aquarius de SOS Méditerranée, Domenico Lucano, les habitants de la vallée de la Roya ou encore ces nombreux Français, anonymes et discrets, qui ont fait le choix d’accueillir chez eux. S’il choisit de valoriser ces initiatives souvent associatives ou isolées, souvent des exceptions, Jean-François Corty révèle surtout au grand jour des failles systémiques. Pouvoir politique faible ou manipulateur, décisions politiques trop tardives, inefficaces, ou pas appliquées, débat public confisqué par des psychoses collectives et des clichés tenaces… Si la question migratoire est souvent « traitée uniquement sous l’angle de l’invasion et de la peur », il ne désespère pas de convaincre l’opinion publique. «Il n’y a pas de crise migratoire majeure, c’est une vue de l’esprit », insiste le médecin sur les plateaux télé. Frappé par le sentiment de radicalisation de ce débat, Jean-François Corty se sent « inaudible ». Pour autant, il refuse de « les laisser faire croire qu’en laissant les migrants mourir en mer, le sort des Français précaires va s’améliorer ». S’il continue d’arpenter des plateaux télé «de plus en plus hostiles », le docteur se plaît à explorer d’autres espaces où sa parole est « plus libre » : livre, conférences, etc. Cette bande dessinée engagée en est une puissante illustration.
Profession solidaire - Chroniques de l’accueil. Jean-François Corty, Jérémie Dres et Marie-Ange Rousseau. Éditions Steinkis. pages. €.