Var-Matin (La Seyne / Sanary)

« Le désir de nos anges, c’est de nous voir nous relever »

Nice a commémoré, hier, les 4 ans de l’attentat du 14 juillet. Cérémonie intime en présence des familles de victimes et un émouvant recueillem­ent devant la stèle des jardins de la Villa Masséna

- STÉPHANIE GASIGLIA sgasiglia@nicematin.fr

l est de ces événements qui sortent tout le reste de nos pensées. Certaines circonstan­ces qui nous stoppent net dans notre lancée (...) J’ai pas les mots pour exprimer la puissance de la douleur. J’ai lu au fond d’ tes yeux ce que signifiait le mot malheur (...) J’ai pas trouvé les mots pour expliquer l’inexplicab­le. J’ai pas trouvé les mots pour consoler l’inconsolab­le »... A l’image de Grand corps Malade, dont il dira les vers la gorge nouée, Jean-Claude Hubler, le président de « Life for Nice » n’a « pas les mots »... Lui qui était en vacances sur la Promenade des Anglais, il y a quatre ans. Pas les mots pour affronter ce nouvel anniversai­re, hier, à la Villa Masséna, en présence des familles de victimes. Pas les mots quand les maux sont éternellem­ent là. Encore. Pour toujours. En 2016, symbolique­ment, le soir de la fête nationale, et dans une violence aveugle et inouïe, un terroriste a laissé sur son passage 86 morts, des centaines de blessés et des milliers de personnes traumatisé­es.

« Comment survivre ? »

Les mots, le président de l’associatio­n « Promenade des Anges », les a laissés sortir, lui. Thierry Vimal, père debout, comme il peut. La lumière de sa petite Amie, 12 ans, assassinée ce soir-là, comme un halo autour de lui. Autour de tous. Les mots, il les a trouvés. Justes et durs. Passant du noir au blanc, car ainsi va sa vie depuis. Ainsi va la vie de tous ceux qui pleurent un être cher depuis quatre ans. « Le soleil, l’eau bleue et chaude. Les plages et terrasses bondées...

Tout cela doit perdurer au nom de la vie », entame le père d’Amie. Mais tout ça a perdu « de sa légèreté d’alors ». L’insoucianc­e « d’avant 2016 : cet été où nous courrions de caserne en hôpitaux, sidérés par la douleur, harcelés d’images terribles. Pleurant, tour à tour, de chagrin, de fatigue, de rage, de résignatio­n. Ces souvenirs qui nous hantent toute l’année, mais qui, l’été, semblent s’incarner dans toute notre chair. »

« Lutter pour rester dignes »

Thierry Vimal, universel. Puis, intime, ensuite. « L’an dernier, ici même, je partageais avec vous cette question que je pose souvent à ma fille défunte. Comment survivre ? Comment survivre, déchu de ma mission d’être ton père ? », souffle-t-il. Et la réponse qu’il espère valoir pour tous : « Elle me répondait, Non, papa, tu n’en es pas déchu. Et il y a encore quelque chose que tu peux faire pour moi, quelque chose d’immense et qui me tient tellement à coeur : prendre soin de toi, prendre soin de nos proches, et lutter avec eux pour rester dignes ». « Mais qu’elle est dure parfois la dignité ! », lâche alors Thierry Vimal. Bienveilla­nt : « Vous faites ce que vous pouvez, nous disent nos défunts, de toute façon nous sommes fiers de vous. Et c’est important, car la tentation de tout lâcher est grande, récurrente, et bien souvent nous avons le sentiment d’échouer. » Avant ce message, comme une supplique : « Leur désir, à nos anges, c’est de nous voir nous relever. ». Ensuite ? Encore des mots. Rugueux, difficiles... Ceux de Marek, ce proche de Camille Murris, fauchée sur la Promenade. Ses mots dans la voix de Marc Andrieu, secrétaire général de l’associatio­n « Mémorial des Anges ». « L’année 2020 demeurera celle de l’apprentiss­age de la distance. Distance des corps bien sûr, mais aussi parfois des âmes et des sentiments qui les relient », entame le jeune homme. « S’éloigner les uns des autres n’est pas anodin. C’est hélas trop souvent, faire grandir les solitudes de chacun. »

La double peine : la douleur et l’oubli

« Pourquoi parler de cela ici ? », interroge-t-il. « Parce que pour les victimes et proches de victimes d’un acte terroriste, le Covid et ses conséquenc­es ont un goût de déjà-vu. On traverse un ouragan méthodique, qui laisse intact le décor, mais balaie tout le reste. Tout ressemble à ce qu’il y avait avant, mais rien n’est plus pareil. » La douleur... et l’oubli, la double peine. Cette crainte « qu’au fond, les masques du Covid étouffent nos appels à la mémoire des victimes de l’attentat de Nice ». Un message entendu et partagé par le maire Christian Estrosi. « Le temps passe. Ne le laissons pas nous dépasser. Dans notre temps d’immédiatet­é, il ne sera pas dit qu’une tragédie chasse l’autre. Au contraire », a dit le premier magistrat. « Tous ces chagrins, toutes ces douleurs, ces interrogat­ions sur le sens de nos vies, sur l’amour qui nous manque, sur les projets qui se sont évanouis, oui, nous les avons partagés », a encore affirmé le premier magistrat. Associatio­ns, élus, leur volonté est commune : « Celle d’inscrire définitive­ment dans le paysage niçois le souvenir des anges frappés le 14 juillet 2016 ».

Monument du souvenir le  juillet 

Christian Estrosi s’y engage : « L’année prochaine, nous inaugurero­ns ensemble, à cette même date, le monument définitif dédié à leur souvenir. Il tiendra aussi en éveil notre vigilance ». De son côté, Bernard Gonzales, préfet des Alpes-Maritimes, a, voix martiale, tenu à rappeler ce qui s’est joué aussi ce jourlà, par-delà l’immense souffrance. « C’est dans la richesse de sa diversité que Nice était frappée. Cet attentat, à une date si symbolique, visait la civilisati­on mondiale et ses idéaux les plus universels : le respect de la vie, la liberté, la démocratie. » Après les mots, qu’ils furent dits, ou pas, les noms ont claqué dans le ciel. Ceux des 86 victimes lus dans le silence, alors que les familles, les proches et les élus déposaient une rose blanche devant la stèle en la mémoire des Anges. 86 noms, insupporta­ble liste qui, chaque année, semble plus longue encore...

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(Photos Jean-François Ottonello) Des roses blanches déposées devant les photos des  morts de l’attentat du  juillet .
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Les parents de Laura Borla, émus mais « fiers » de recevoir, en ce jour symbolique, la médaille nationale de reconnaiss­ance aux victimes du terrorisme des mains de Christian Estrosi, au nom du président de la République.

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