« La FAN, un challenge difficile mais excitant »
Depuis le 1er août, le vice-amiral d’escadre Xavier Baudouard, né à Saint-Malo, commande la Force d’action navale. Il y succède à l’amiral Rolland appelé auprès du Président de la République
Après plusieurs années passées dans les états-majors parisiens, l’amiral Baudouard est de retour en bord de mer. Non pas en Manche, si chère à ce Malouin, mais à Toulon, plus grand port militaire français. Interview exclusive.
Nouvel Alfan, vous commandez tout ce qui flotte dans la Marine. Combien de bateaux et de marins cela représente-t-il ?
Dire « tout ce qui flotte » est un peu abusif parce que nos dix sousmarins flottent, souvent entre deux eaux certes, mais sont sous le commandement d’Alfost (). En fait, j’ai la responsabilité de tous les bâtiments de surface. C’est une grosse responsabilité. Ça représente bâtiments et équipages à ce jour. Bientôt même avec la création fin août de l’équipage B de la frégate multimissions Bretagne. En termes d’effectifs, la Force d’action navale représente donc environ personnes. C’est à ce titre le plus gros commandement de la Marine nationale.
Que ce soit pour le nombre de bateaux ou de marins, la tendance est-elle plutôt à la hausse ou à la baisse ?
On essaye de faire en sorte que la courbe reste plate, voire qu’elle grimpe un peu, parce que la vocation du marin est de naviguer. Si le nombre de bateaux n’augmente pas, leur activité va être plus importante du fait de la création du double équipage. À titre d’exemple, les frégates multimissions à double équipage vont avoir une activité annuelle de jours contre à jours de mer pour les Fremm à simple équipage. Plus que le nombre de bateaux, c’est leur activité qui compte. Après, les bateaux n’ayant pas le don d’ubiquité, on a besoin de plateformes pour faire face à des missions toujours plus nombreuses et plus complexes.
Justement, l’année en cours a été particulièrement intense pour la Marine qui – et ce n’était pas prévu – a participé l’opération Résilience. Là-dessus s’est ajoutée la crise du Covid- qui a ébranlé le Charles-de-Gaulle. Comment voyez-vous la suite des événements en ?
Comme tous les marins qui, où qu’ils soient, gardent un attachement certain pour les bateaux, j’ai suivi de très près ce qu’il s’est passé sur le Charles-deGaulle. Et même si je n’ai jamais commandé le porte-avions, ça m’a bien touché parce que je ne m’y attendais pas. Je ne m’étendrai pas plus sur le sujet. La ministre s’est exprimée devant la commission de la Défense. Le chef d’état-major de la Marine également. Mon rôle aujourd’hui est de faire en sorte qu’on prenne toutes les dispositions pour permettre aux équipages qui partent en missions d’accomplir ces missions avec les garanties sanitaires les plus importantes. C’est d’ailleurs la priorité qu’a donnée la ministre : « continuer les opérations dans un cadre sanitaire garantissant la santé des personnels du ministère ».Ona donc élaboré des « plans de maîtrise » du virus. Sur le Charlesde-Gaulle, en arrêt technique jusqu’à début septembre, des opérations ont été programmées pour améliorer les conditions de vie à bord d’un bateau dont la conception ancienne a pu favoriser la propagation du virus. Certains lieux de vie et la zone de confinement utilisée lors de l’épidémie ont été réaménagés en ce sens. Ce n’est qu’un début. On a surtout prévu de doter le bâtiment d’outils de protection et d’un équipement pour réaliser des tests PCR à la mer. Cela permettra d’identifier les cas, notamment asymptomatiques, de les confiner plus rapidement et ainsi de maîtriser l’épidémie. C’est la priorité de la rentrée. Il n’est pas question qu’on ne mette pas le porte-avions dans les meilleures dispositions pour reprendre la mer et contrer une éventuelle reprise d’épidémie.
Pendant longtemps le budget de la Défense a servi de variable d’ajustement. Avec les dépenses imprévues liées au Covid, avezvous peur que ce soit à nouveau le cas ?
En trois ans, j’ai vu que ce qui était promis aux armées dans la loi de programmation militaire a été respecté. En , on a ainsi eu , milliard d’euros de plus qu’en . En , idem. Et si j’ai bien compris, ce sera encore le cas en . On a donc bien la marche à , Md€ telle que prévue par le Président de la République. Par ailleurs, lors de son allocution du juillet dernier, le Président a précisé qu’il garderait le cap sur les finances prévues pour le ministère des Armées. Crise covid ou pas, on garde le cap et c’est une bonne chose parce que ça permet de travailler sur le temps long. Acquérir un équipement militaire prend une vingtaine d’années. Voire plus. Il faut donc de la continuité. Conserver cette continuité par le respect de ce qui est prévu en LPM, c’est à mon avis un gros avantage. Je n’ai donc pas trop d’inquiétude.
Vous arrivez à la tête de la FAN en pleine modernisation. Ce doit être excitant ?
Voir une force qui évolue en permanence comme ça, c’est énorme. Quand j’ai quitté la FAN, il y avait encore des bateaux de conception des années -. Je reviens aujourd’hui et je trouve des bateaux de conception des années -. Et ce renouvellement n’est pas terminé. Le programme des bâtiments ravitailleurs de force, avec la commande de quatre unités, a été lancé. Idem pour les patrouilleurs outre-mer et les patrouilleurs océaniques appelés à remplacer les vieillissants patrouilleurs de haute mer (ex-aviso).
Cette modernisation participe à l’attractivité de la Marine ?
Avoir des bateaux modernes, efficaces et performants participe évidemment à l’attractivité de la force. Mais aussi à la fidélisation des marins.
On l’a vu récemment avec le Courbet qui a eu maille à partir avec les Turcs au large de la Libye, les missions sont de plus en plus complexes. Comment s’y prépare-t-on ?
Ces missions ne sont pas forcément nouvelles, mais ce sont les conditions d’exercice des missions qui ont un peu changé, avec des états qui adoptent des comportements différents. Moi mon rôle est de faire en sorte que les bateaux, quand je les mets à la disposition de la chaîne de commandement opérationnel, soient préparés et entraînés à réagir à des situations telles que celle qu’a vécue le Courbet. Il faut habituer, toujours analyser les missions réalisées pour pouvoir adapter l’entraînement et faire en sorte que les gens adoptent les bonnes réactions face à ce genre
Un espace de liberté et de confrontation”
1. Alfost : Amiral commandant la force océanique stratégique.