Abel Ballif SON RÊVE DE CORNICHE D’OR
Le président du Touring Club de France de l’époque est à l’origine de cette route, l’une des plus touristiques du pays, inaugurée avec le plus grand faste en 1903.
La corniche d’Or... le nom même fait rêver ! La réalité est à la hauteur du rêve. Elle déroule, de Saint-Raphaël à Cannes, son ruban goudronné entre le rouge des rochers et le bleu de la mer. Un homme se trouve à son Origine, le président du Touring Club de France de l’époque, Abel Ballif. En 1897, il alla voir un certain Périer, ingénieur des Ponts et Chaussées à Draguignan : « J’ai une idée, on va construire une route qui suivra la côte, le long du massif des Maures ! » Tout le monde semble enthousiaste : l’ingénieur, son entourage, le conseil municipal de SaintRaphaël. En avant pour l’aventure ! Les hommes politiques se mobilisent, Abel Ballif lance une souscription pour compléter les financements publics. Certains donnent cinquante centimes, d’autres 1 franc, 10 francs. Les Carrières du Dramont vont jusqu’à 500 francs. Chacun selon ses moyens. Mais les plus généreux sont ces propriétaires qui cèdent gratuitement leurs terrains. Oui, il y en a eu ! Le chantier commence. On taille, on creuse, on dynamite. Des rochers rouges partent en poussière, des excavations cisaillent la côte. Des dizaines d’ouvriers sont sur les chantiers, transpirant sous le soleil méditerranéen. Il y a beaucoup d’Italiens comme pour la construction du train, quarante ans plus tôt. On suit la ligne du chemin de fer – mais sans jamais la traverser : il est décidé qu’il n’y aura aucun passage à niveau. Le 11 avril 1903, le grand jour est arrivé. L’inauguration. Il y a jusqu’aux journaux parisiens pour s’y intéresser.
Aucun intérêt électoral
Abel Ballif donne une interview à la République du Var : « La route a coûté 500 000 francs Or. Jamais, au grand jamais on n’eut obtenu pareil sacrifice si nous n’avions suivi pas à pas cette affaire avec une ténacité de Breton, soutenus par la sympathie que, partout, cette entreprise a rencontrée... Cette route est dénuée de tout intérêt électoral, elle a la mer à droite et, à gauche, une forêt de 300 kilomètres carrés. Qui intéresse-t-elle ? Personne en particulier, et c’est là le rare et le beau de la chose. L’intérêt général est seul en cause. » Le jour de l’inauguration, à Saint-Raphaël, les voitures arrivent de toutes parts. Les hôtels sont assiégés. Émile Maruéjouls, ministre des Travaux publics, venu de Cannes, arrive à la gare. Il n’est pas seul. Il est accompagné du Grand Duc Michel de Russie, de la comtesse de Torby, du commandant Huguet représentant le Président de la République Émile Loubet, du général Joly, gouverneur de Nice, de Messieurs Sauvan et Arago, maires de Nice et de Grasse, Noblemaire, directeur de la Compagnie des chemins de fer de Paris à Lyon et à la Méditerranée. Les quais sont fleuris. L’événement est considérable. La délégation est accueillie par Léon Basso, maire de Saint-Raphaël et Abel Ballif, président du Touring Club. Il est 3 heures de l’après-midi lorsqu’un cortège de cent trente voitures se met en marche, préfets des Alpes-Maritimes et du Var en tête. Des arcs de triomphe ont été dressés sur le parcours. Partout sur le passage les riverains applaudissent comme à une course cycliste. Une première plaque commémorative est dévoilée au roc Saint Barthélémy, à l’endroit où la route enjambe le chemin de fer. Une seconde au rocher Notre Dame, à la limite entre les deux départements, portant le nom du Président de la République Émile Loubet. « Dès cinq heures, les voitures commencent à arriver aux environs de Cannes, relate la presse. Peu à peu, elles se reconstituent en cortège, sous les acclamations le long de la Croisette. Le cortège se dirige vers la villa Madrid où le maire Capron fait une fastueuse réception. Monsieur Tréhel, ingénieur des Ponts et Chaussées à Draguignan, reçoit la Légion d’Honneur ». C’est terminé ! L’une des routes les plus célèbres de France a été ouverte. On y fera du tourisme, on y tournera des films – Bonjour tristesse, Le Corniaud, Le Clan des Siciliens, L’ Arnacoeur. Un homme au prénom biblique peut être fier de lui, Abel Ballif. Par la suite, il vivra dans une villa à Théoule, où il mourra en 1934, à l’âge de 88 ans. Non loin de là, un monument à sa gloire construit dans la roche en 1939 lui rend hommage. Il le mérite. Il la voulait, sa « corniche d’Or » ! Il l’a eue...