« On est “traumatisé” par la première vague »
Alors que le Var et les Alpes-Maritimes sont passés hier en zone rouge, les infectiologues du CHU de Nice se veulent rassurants, mais appellent au renfort des mesures barrières
En première ligne dans l’accueil des malades depuis le début de la crise sanitaire, le Pr Michel Carles et le Dr Véronique Mondain, infectiologues au CHU de Nice, livrent leur analyse de la situation.
Que faut-il retenir comme messages importants de ce passage en zone rouge ?
La circulation du virus augmente, nous sommes dans une zone à risque. Il ne s’agit pas de faire peur, d’affirmer que l’épidémie est de retour ou d’inviter la population à rester cloîtrée, à renoncer à une vie sociale ou professionnelle… Rappelons que la plupart des contaminations se font actuellement dans les milieux festifs ou familiaux, parfois les entreprises. Il faut simplement renforcer les mesures barrières, et avoir une approche rationnelle de la circulation du virus, en appliquant les principes fondamentaux : protéger, tester, isoler.
On a le sentiment d’un grand cafouillage concernant le dépistage ?
Pas du tout. En réalité on sait parfaitement ce qu’il faut faire dans ce domaine, en respectant un ordre de priorité : on teste d’abord les personnes qui présentent des symptômes compatibles avec la Covid-, les personnes contacts d’un cas confirmé ou probable, les clusters puis les professionnels exerçant dans des structures de soins, des Ehpad, plus globalement auprès de sujets vulnérables… Les tests à visée de dépistage individuel pour convenance personnelle ou à visée de surveillance épidémiologique ne sont pas prioritaires. Et il faut aussi rappeler qu’il est inutile de répéter les tests comme on le voit parfois écrit, même par des professionnels de santé. La cacophonie vient d’une mauvaise interprétation des recommandations.
Vous affirmez que nous ne sommes pas en situation d’épidémie alors le nombre de nouveaux cas diagnostiqués au cours des sept derniers jours a atteint pour habitants dans les AlpesMaritimes et pour habitants dans le Var. Pour le au moins, on est très au-dessus du seuil d’alerte, fixé à !
On confond le seuil d’alerte de la circulation du virus – qui est effectivement atteint – et le seuil d’alerte en termes d’épidémie. On parle d’épidémie à partir de
malades pour habitants. Les chiffres que vous citez font référence aux cas positifs ; or, à % des personnes contaminées sont asymptomatiques – même si ce pourcentage semble se modifier récemment. Depuis le juin, « seulement » patients sont passés par le service des maladies infectieuses. Sans minimiser la gravité la situation, on peut donc affirmer que nous ne sommes pas en situation épidémique.. Aujourd’hui, dans tout le GHT [ensemble des hôpitaux publics du ., Ndlr], patients sont hospitalisés en infectiologie ou en réanimation au total. Si la situation venait à évoluer, nous alerterions aussitôt.
Comment pourrait-elle évoluer ?
Depuis le juin, il existe un bruit de fond. Le coronavirus circule de façon endémique [permanente, Ndlr] – comme c’est le cas pour d’autres maladies infectieuses, dans certains endroits du monde. Soit, on reste en phase endémique – le virus circule, mais il n’y a pas d’épidémie – soit la maladie progresse, et on rentre dans une phase épidémique. On ne sait pas aujourd’hui prévoir l’avenir, sachant que persiste notamment la question de la saisonnalité du coronavirus. En automne, y aura-t-il une poussée ? C’est possible. Mais cela pourra être tout à fait contenu si on maintient de façon constante les mesures barrières tout l’automne et l’hiver.
Des propos rassurants qui contrastent avec le ton alarmiste des instances sanitaires et politiques…
Je pense que l’on est réellement « traumatisé » par la première vague épidémique qui a bouleversé toute la société. Le coronavirus a mis à genoux le système de santé. Le système de soins, les administrations sont en état de stress post-traumatique. Dès que les hospitalisations progressent un peu, on s’affole, on se dit : c’est reparti ! On a tendance à perdre un peu de rationalité dans la gestion de la crise.
Il reste qu’une partie de la population est victime d’une véritable psychose.
Il faut faire passer ce message important que la Covid- n’est pas une maladie très grave ; elle est associée à environ , % de mortalité. Une mortalité qui concerne essentiellement les plus âgés, population qui doit être protégée. Selon les chiffres de Santé publique France, parmi les décès enregistrés fin mai, moins de correspondaient à des personnes de moins de ans. Il ne s’agit pas pour autant de minimiser les symptômes qui peuvent être très invalidants : fatigue, perte du goût, de l’odorat… Par ailleurs, autour de la Covid, persistent beaucoup d’inconnus, c’est la raison pour laquelle il faut rester prudent.
Toutes les mesures prises ne sont-elles pas excessives ? La grippe saisonnière qui a fait elle aussi des milliers de victimes certaines années ne bénéficie pas des mêmes recommandations ?
C’est un tort. On pourrait en faire autant pour la grippe !