François Bensa LOIN DE LA TRADITION NIÇOISE
Au XIXe siècle, ce peintre azuréen, porté par le romantisme de l’époque, représentait le lieu-dit La Réserve, à Nice, avec sa vision singulière. Dans une ambiance de drame shakespearien.
Où peut-on manger de bons coquillages à Nice ? » « À La Réserve ! Prenez le chemin côtier au-delà du port. Vous continuez. Attention à ne pas vous tordre les pieds ! Vous trouverez une baraque en planches, accrochée aux rochers... » Ainsi, les touristes s’offraient-ils là la meilleure et la plus pittoresque dégustation de fruits de mer du littoral dans les années soixante – les années... Mille-huit-cent-soixante ! C’était à l’époque où le rattachement à la France venait d’avoir lieu, où le chemin de fer avait été construit et où les visiteurs étrangers commençaient à arriver. La Réserve prospéra. Un étonnant « pavillon chinois » se dressait sur un grand rocher à l’écart du rivage, auquel on accédait par une passerelle. Le lieu devint une attraction touristique, avec son toit en pagode et son clocheton.
L’image lumineuse de la Côte d’Azur
Aux alentours, tout demeurait sauvage. On y voyait encore les ruines déchiquetées d’une poudrière qui avait sauté en 1796, faisant une cinquantaine de victimes. Là se trouvait, au XVIIe siècle, le Lazaret qui servait de prison et de lieu de quarantaine pour les hommes et les marchandises en cas d’épidémie. L’endroit était dominé par le bâtiment du séminaire qui avait été construit en 1840 pour la formation des prêtres, dans ce qui était décrit par l’évêque de l’époque comme un « désert indescriptible ». Aujourd’hui, l’endroit est bâti d’immeubles, grouille de touristes et de baigneurs, le séminaire est devenu un hôtel, Le Saint-Paul, le tribunal administratif y a longtemps eu ses locaux. On imagine le peintre niçois François Bensa dans ce « désert » d’autrefois. Il est parti de la rue des Ponchettes où il habite, a contourné le « nouveau » port, inauguré en 1857 par l’impératrice de Russie, et est arrivé jusqu’ici par un sentier muletier. Il est seul sur le rivage, bercé par le clapotis des vagues, l’esprit traversé par les idées romantiques de l’époque. Dans son tableau Le Lazaret et le restaurant La Réserve, conservé au Musée Masséna de Nice, il a créé l’ambiance d’un drame shakespearien. On y voit les couleurs sombres de la nuit. Adieu l’image lumineuse de la Côte d’Azur ! Le soleil est sous l’horizon. Le paysage est déchiqueté. On admire la précision du dessin. Comme (presque) toujours chez Bensa, il n’y a pas de personnage. Bensa est un peintre paysagiste. Trois barques sombres attendent sur le rivage.
« Il sait s’écarter des vues galvaudées »
Si l’on observe bien, entre le gros rocher de gauche tranché par une falaise ocre et le pavillon chinois, on aperçoit au loin le château de l’Anglais. Ce bâtiment exotique, aux découpes folles est l’une des premières constructions excentriques qui pousseront à Nice au XIXe siècle. Il a été bâti en 1856 par un colonel de l’armée des Indes nommé Robert Smith. Entre le pavillon chinois et le château de l’Anglais, cette vision du lieu-dit de La Réserve semble loin de la tradition niçoise. « Bensa sait s’écarter des vues galvaudées », souligne l’historien JeanPaul Potron dans Paysages de Nice (éditions Gilletta). Il a laissé libre cours à son imagination. Il l’a fait... sans réserve. . Le Lazaret et le restaurant La Réserve. François Bensa. Huile sur toile. cm x , cm. Musée Masséna, Nice.
. Photo du restaurant La Réserve en .