Var-Matin (La Seyne / Sanary)

Quand Porqueroll­es inspirait Simenon

Après un long séjour en 1926, le père de Maigret reviendra régulièrem­ent sur l’île jusqu’en 1939 pour s’y ressourcer, pêcher à bord de son pointu Potam, et écrire.

- NATHALIE BRUN

Les Belges auraient-ils un faible pour Porqueroll­es ? Après son compatriot­e François Joseph Fournier, cet aventurier qui avait fait fortune dans les mines mexicaines et qui avait offert l’île varoise à sa jeune épouse, en 1912, c’est Georges Simenon qui s’en entiche. Il y écrira quantité de feuillets, ces articles et ces romans populaires qu’il enchaînait à un rythme infernal, à ses débuts. Mais aussi plusieurs enquêtes de Maigret, qui verront le jour souvent au petit matin, dans la tour carrée de la villa qu’il louera durant plusieurs années, en périphérie du village.

Parenthèse exotique

Le père du plus célèbre patron de la Crim débarque, pour la première fois, sur l’île à 23 ans, au début de l’été 1926, avec son épouse Régine dite Tigy – rencontrée quand il était journalist­e à la Gazette de Liège –, la plantureus­e Henriette, surnommée Boule, leur domestique, et leur chien Olaf. À l’époque, l’écrivain en herbe ne signe pas encore chez Gallimard, et le couple ne roule pas sur l’or. Tigy, qui est peintre, a pu vendre deux de ses toiles pour 1 800 francs, ce qui va permettre de prolonger de quelques mois leur séjour sur ce confetti exotique et sauvage, baigné dans des eaux transparen­tes. « L’un des hauts lieux de ma vie », dira Simenon qui y reviendra de 1933 à 1939, tant pour se ressourcer que pour y puiser l’inspiratio­n. Son fils, Marc, s’y installera plus tard avec son épouse, l’actrice Mylène Demongeot. Une centaine d’habitants, essentiell­ement des familles d’ouvriers italiens employés dans le domaine agricole des Fournier et une poignée de pêcheurs, vivent alors à Porqueroll­es. L’île est aussi le repère de riches désoeuvrés et de quelques « excentriqu­es », comme les appelle « Sim », qui aiment marcher nu-pieds, vont pêcher la bouillabai­sse, jouent à la pétanque sur la place et font l’apéro chez Maurice, à l’Arche de Noé. Le programme convient parfaiteme­nt à Simenon qui va s’imprégner des lieux, adoubé par les locaux.

Bouillabai­sses et bains de minuit

L’île bruissante et parfumée vibre de toute sa splendeur en cet été 1926. Et les passagers ne se bousculent pas dans la navette. Le trio, ébloui, s’installe d’abord au-dessus d’un bistrot, au village, avant de dégoter un deux-pièces agrémenté d’une gentille véranda en canisses au Grand Langoustie­r .Ils prendront finalement leurs habitudes à la villa Les Tamaris où la machine à écrire commence souvent à chauffer avant l’aube. Mais si Georges Simenon est une bête de travail, il sait aussi se ménager de larges moments de détente : balades dans les méandres odorants des sentiers, bains à la plage d’Argent, sorties avec Tado, son ami pêcheur, sur son pointu Potam, bains de minuit et siestes coquines. L’écrivain ne s’en cache pas. Il se vantera même plus tard, auprès de Fellini, d’avoir eu « 10 000 femmes », dont une grande majorité de prostituée­s. Avant de revoir ses comptes à 5 000 ! Dans Mon ami Maigret qui a pour théâtre Porqueroll­es, il évoque ces réseaux de prostituti­on azuréens. L’île envoûtante et sa face sombre sont également au coeur d’un de ses romans antérieurs, Le Cercle des Mahé, et de deux nouvelles parues dans les recueils Les Treize Énigmes et Les Sept Minutes. Après la guerre où ses relations ambiguës avec le nazisme ont été pointées par ses biographes, Simenon n’est plus revenu à Porqueroll­es.

Un des hauts lieux de ma vie”

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Partie de boules sur la place du village.
 ??  ?? Les Simenon sur les quais de Porqueroll­es.
Les Simenon sur les quais de Porqueroll­es.
 ??  ?? Georges Simenon à la barre de son pointu Potam, avec son épouse Régine, dîte Tigy.
Georges Simenon à la barre de son pointu Potam, avec son épouse Régine, dîte Tigy.

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