Le jargon des profs fait aussi sa grande rentrée
Snobisme ? Effet de mode ? Besoin de se démarquer ? Depuis de nombreuses années, le langage « pédadingo » des enseignants agace et prête à la caricature. Et même eux s’en amusent...
S’asseoir sur un banc de classe rédiger une rédaction, faire une dictée, jouer au ballon dans la cour de l’école... Surveillez votre langage : désormais, tout cela ne veut plus rien dire. Aux yeux de l’Éducation nationale et de ses doctes représentants, ces expressions sont périmées, désuètes, inappropriées. La classe ? Elle est devenue « l’espace d’apprentissage pédagogique ». Les bancs ? Ce sont des « espaces de confort partagés ». La dictée ? Elle s’est muée en « vigilance orthographique », alors que la rédaction a cédé sa place à la « production écrite ». Et plus question de taquiner le ballon. Ce dernier, bien malgré lui, a pris le nom de « référentiel (re)bondissant ». Bien sûr, il n’y a plus d’élèves en cours mais des « apprenants » qui sont le pendant des enseignants. Et n’allez surtout pas demander à ces derniers de vous dévoiler les notes de vos enfants. Ce mot-là aussi a été banni du vocabulaire. Trop simple sans doute ! La bonne formule à employer est « acquisition verticale ».
Des sommets en EPS
Sans rire, on peut quand même se demander, comme Pierre Bury le fait ci-dessous, à quoi rime tout cela ? Et si, au fin fond d’un ministère, des gens sont réellement payés pour réfléchir au fait que l’on écrit mieux avec un outil scripteur qu’avec un simple... stylo.
Et encore, on est resté jusqu’ici dans la simplicité. Dirigeons-nous par exemple vers l’histoire-géographie. Dans cette matière, on ne dit plus aux apprenants (!) de dessiner un schéma avec des flèches, mais de réaliser un schéma de type « sagittal ». Et le meilleur est à venir. Voyons voir ce qui se passe du côté des profs d’EPS qui, selon Pierre Bury toujours, se trouveraient à l’origine de cette grande révolution linguistique. Là, des sommets sont atteints. Allez on commence par les vestiaires parce qu’il faut bien se changer avant de faire du sport. Ne les cherchez pas : ce sont aujourd’hui des « espaces de transition émotionnelle ». Sur la piste, on ne court plus mais on crée de la « vitesse ». De même, on ne va plus à la piscine mais on rejoint le « milieu aquatique profond standardisé », en opposition avec la mer qui, elle, ne l’est pas... standardisée. Attention, on ne joue pas au tennis de table mais on participe à un duel opposant deux adversaires par une « relation médiée par une balle et une raquette » (ouf !). Et si vous préférez le badminton, vous gardez la même formule en remplaçant la balle par le volant.
Il faut prendre garde aussi à l’activité canoë-kayak. Lui succède avec beaucoup plus de panache, une activité de « déplacement d’un support flottant sur un fluide ». Forcément, quand vous réussissez à placer cela dans une conversation, ça impressionne. Et l’escalade ? Ah, l’escalade. Pour le coup, accrochez-vous bien : elle est cette « activité à locomotion quadrupédique » (mais oui) qui vise à créer un chemin proche de la verticale. C’est joliment tourné, mais ça reste de l’escalade... Vous en voulez encore ? Allez, trois petits derniers pour la route. Quand vous saurez que les cours sont des « formations en mode présentiel », qu’une réponse est une « conceptualisation cognitive intuitive » et que l’enthousiasme est une « vision proactive », sans doute dormirez-vous beaucoup mieux ce soir. En tout cas, vous voilà parés pour prévenir votre enfant que le jargon des enseignants n’est pas une langue étrangère. Et rassurez-le s’il rentre à la maison en vous rapportant, vexé, qu’un prof l’aurait chambré en lui reprochant son matériau sonore qui trahit extemporanément ses origines phocéennes. Cela veut juste dire qu’il a l’accent marseillais...
Lire sur le sujet, le livre de Patrice Romain Pédagofreak, Comprendre le jargon de l’Éducation nationale en s’amusant (Éditions L’Éditeur).