Var-Matin (La Seyne / Sanary)

Au procès des attentats de janvier 2015 les « regrets » du renseignem­ent

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Suspendu jeudi après le malaise d’un accusé, le procès a donc repris hier matin, le test Covid-19 auquel il a été soumis s’étant révélé négatif. Mickaël Pastor Alwatik, poursuivi aux côtés de 13 autres personnes pour son soutien logistique présumé aux auteurs des attaques qui ont fait 17 morts, a été extrait hier matin de sa cellule de la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis et était présent dans le box pour assister aux débats. Des « regrets », mais pas de « trous dans la raquette » : un membre du renseignem­ent français s’est défendu, hier, de toute « faille » dans la surveillan­ce ou l’absence de suivi des auteurs des attentats de janvier 2015. Sur le gril pendant plus de trois heures, l’ancien chef de la division judiciaire en charge de l’antiterror­isme à la DGSI, témoignant anonymemen­t et présenté sous le matricule « 562 SI », se défend bec et ongles de toute « défaillanc­e ». L’enquête a démontré que les auteurs des attentats, les frères Saïd et Chérif Kouachi et Amédy Coulibaly, tués dans des assauts des forces de l’ordre le 9 janvier 2015, se connaissai­ent et gravitaien­t dans une même sphère djihadiste. Ils partageaie­nt le même mentor, Djamel Beghal. Les frères Kouachi étaient «observés » depuis 2004-2005, dans le cadre de l’affaire d’une filière d’achemineme­nt de jihadistes en Irak, dite « des ButtesChau­mont ». Condamné dans ce dossier, Chérif Kouachi a rencontré en prison Amédy Coulibaly, écroué pour vol. « Connu comme un petit délinquant », « potentiell­ement radicalisé », ce dernier ne fera pas l’objet d’un « suivi particulie­r » lors de sa dernière sortie de prison, en mars 2014, à la différence des Kouachi, souligne le témoin. La surveillan­ce des Kouachi, qui faisaient l’objet d’une fiche « S » pour « sûreté de l’Etat », s’est pour sa part intensifié­e en 2011 : l’un des frères, probableme­nt Chérif Kouachi selon l’enquêteur, s’est alors rendu au Yemen, où il aurait rencontré Peter Cherif, vétéran du djihad, dont l’audition prévue, jeudi, a été reportée sine die.

« Un échec pour tous »

Pourquoi cette surveillan­ce, par intermitte­nce, s’est-elle interrompu­e en juin 2014 ? Sur la défensive, l’enquêteur de la DGSI « le regrette ». Mais à l’époque « on ne détecte pas une volonté de passer à l’acte », malgré « un travail très approfondi », explique-t-il. En France, insiste le témoin, dont on ne distingue sur l’écran qu’une silhouette brumeuse, « les écoutes téléphoniq­ues, c’est l’exception, et le respect des libertés la règle ». « Il faut qu’on justifie ces surveillan­ces. Il n’y avait pas d’éléments pour [les] motiver ». En 2014, les services de renseignem­ent surveillai­ent « plusieurs centaines de personnes à potentiali­té violente ». « On ne peut malheureus­ement pas suivre physiqueme­nt beaucoup de gens en même temps », justifie encore l’enquêteur de la DGSI. Les surveillan­ces, « il faut les mettre en place et tomber au bon moment », poursuit le témoin. Cinq ans et demi après les attentats de janvier 2015, « il y a encore beaucoup de zones d’ombres sur les activités, sur la façon dont les frères Kouachi ont pu opérer », déclare l’enquêteur. « C’est un énorme regret [...] d’avoir fait tout ce travail et de n’avoir pas réussi » àdéjouer « les projets » des auteurs des attentats, affirme-t-il. Semblant retenir ses larmes, il assure que « chaque attentat a été ressenti comme un échec pour tous les membres des services de renseignem­ent ». A entendre ces « sanglots », Me Isabelle Coutant Peyre, l’avocate du principal accusé présent, Ali Riza Polat, lance sèchement : « Je pense que tout le monde a compris que vos services ont failli dans leurs missions. » Le procès se poursuivra lundi, jusqu’au 10 novembre.

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