Var-Matin (La Seyne / Sanary)

Ph. Labro : « La trace de Trump va être là pour longtemps »

L’écrivain, journalist­e et réalisateu­r publie un nouveau livre dans lequel il déroule les principale­s pages de sa vie. Avec J’irais nager dans plus de rivières, il nous invite à le suivre au long cours

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Près de la place du Trocadéro, à Paris, on retrouve Philippe Labro dans son bureau de Bolloré Média, la société de Vincent Bolloré dont il est un des proches. Le journalist­e, écrivain, réalisateu­r, entre autres activités, a la silhouette d’un jeune homme malgré ses 84 ans. Toujours d’une subtile élégance, il affiche une forme resplendis­sante. On le sent heureux alors que son nouvel ouvrage, J’irais nager dans plus de rivières (publié chez Gallimard) vient de sortir, ainsi qu’à l’idée d’évoquer la future élection présidenti­elle américaine du 3 novembre. Ces États-Unis qu’il connaît si bien depuis son premier voyage en 1954. Cet ami de Johnny Hallyday (dont il fut le parolier) a d’ailleurs tiré deux romans de ces années de jeunesse outre-Atlantique, L’Étudiant étranger et Un Été dans l’Ouest.

Pourquoi avoir écrit J’irais nager dans plus de rivières àce moment de votre vie ?

PHILIPPE LABRO. Ce n’est pas un ouvrage testamenta­ire du tout. J’ai bien l’intention de continuer longtemps. Mais en feuilletan­t mes carnets moleskine, remplis comme des oeufs, je voyais ces citations d’écrivains et de philosophe­s, qui, d’une certaine façon, racontaien­t ce que j’ai vécu, entendu. Il était temps de prendre la distance pour raconter mes expérience­s dans beaucoup de domaines, comme le journalism­e, le cinéma, la chanson. Cela fait deux ans que je travaille dessus. J’ai senti que le moment était venu.

Vous consacrez  pages à Johnny Hallyday…

Le plus long chapitre ! On a des parcours radicaleme­nt différents. Lui, c’était un enfant de la balle, quasi orphelin, ballotté de famille en famille, aucune éducation, qui s’est fait tout seul grâce à sa volonté et son génie. Et une guitare ! Moi, je suis le fils d’un homme qui arrive de très loin – ma grand-mère était un conducteur de tramway à Cahors –, mais je sors d’un milieu bourgeois, j’ai des diplômes. Il y a des points communs, d’abord l’amour de l’Amérique qui se traduit par une rencontre dans une boîte de nuit où Johnny voit qu’on a les mêmes santiags. Il y a l’amour du cinéma. À la limite, il aurait préféré être acteur de cinéma que chanteur. Et la musique bien sûr.

Comment a débuté votre amitié ?

Sur une conversati­on à propos du cinéma. Et puis, un jour je lui ai apporté un texte que j’avais écrit dans un avion au retour de Californie, Jésus-Christ est un hippie. C’était parti ! Ma Jolie Sarah a été un succès, une chanson que j’ai écrite très vite à Londres dans les quinze nuits que j’ai passées dans le studio des Beatles (Abbey Road). Je retiens l’extraordin­aire énergie de Johnny. On l’appelait entre nous La Bête ! Il a survécu à tout. Il aurait pu mourir dix fois. Il avait le goût du travail. Il n’était heureux que dans les studios et sur scène. Il était un grand chanteur populaire et il n’y en a pas tellement. Entre nous, il n’y a jamais eu l’ombre d’une dissension.

Sa fille, Laura Smet est maman d’un petit Léo, né le  octobre…

Émouvant ! C’était le prénom du père de Johnny. Ça veut dire que Laura, une jeune femme qui a eu un parcours difficile et mérite toute notre affection, sait très bien que le père de Johnny était un père absent, disons médiocre, mais qu’il a quand même joué un rôle dans sa vie. Il a toujours été à la recherche du père. Johnny a manqué d’amour toute sa jeunesse.

Voilà un an, au Festival CinéRoman à Nice, vous avez présenté, Sans mobile apparent () avec Jean-Louis Trintignan­t. Et dans le livre, vous lui écrivez une lettre d’excuses…

D’abord, j’ai adoré tourner à Nice. C’est d’autant plus fort que c’est là où mes parents ont pris leur retraite et que j’y allais souvent (Photo F. Mantovani/Gallimard)

au point que les gens pensaient que j’y étais né. Ça m’a aidé pour tourner Sans mobile apparent. J’avais un mentor, Jean-Pierre Melville. Il avait le défaut de donner parfois des conseils erronés. Il m’avait dit que « sur un plateau, il faut vous faire détester. Il ne faut pas être aimé. ». Melville était un homme très compliqué. Un pervers narcissiqu­e. Je l’ai écouté et j’ai été très désagréabl­e avec Jean-Louis pendant tout le tournage. Froid, distant, le vouvoyant, ne faisant pas ce que doit faire un réalisateu­r, une osmose totale avec ses comédiens. Après le tournage, je me suis dit que j’étais fou d’avoir raté une relation chaleureus­e avec lui. Je devais cette lettre d’aveu et de pardon à JeanLouis. Il a surfé sur une économie qui allait bien, fabriquée par les années Obama. Il ne l’a pas bousillée. Wall Street se félicitait d’avoir Trump. La catastroph­e, c’est le comporteme­nt, la corruption, les mensonges, les errances verbales, la misogynie, l’homophobie, le racisme. Et surtout la complaisan­ce par rapport à une extrême droite de la couche non éduquée des Américains blancs du Sud et du Middle West, qui lui sert de base électorale.

Donald Trump peut-il être battu ?

Ce n’est pas évident. Je suis très prudent sur le pronostic. Certes les sondages donnent Joe Biden gagnant. Mais ils donnaient aussi Hillary Clinton gagnante il y a quatre ans. Les sondages ne veulent rien dire. Les Trumpistes peuvent très bien dire qu’ils ne votent pas pour lui par prudence ou par honte. Mais ils voteront pour lui. Pour moi, Trump conserve aujourd’hui toute sa base électorale.

Et Joe Biden, le candidat du Parti Démocrate ?

Il est assez faible en campagne. Et par ailleurs, vient se développer une petite polémique à propos de son fils dont on peut imaginer qu’il n’a pas eu un comporteme­nt en Ukraine très, très clair. Mais bizarremen­t, la violence qui a suivi la mort de George Floyd a servi Trump. Ça lui a permis d’imposer le slogan, Law and Order (La loi et l’ordre) qui avait été celui de Richard Nixon après les émeutes à Chicago et qui lui avait permis de l’emporter. Je réserve donc mon pronostic.

Peut-il y avoir plusieurs scénarios dans cette course à la Maison Blanche ?

Soit Donald Trump est réélu. Soit le scénario surprise, Biden renverse tout. Le troisième c’est de savoir comment les choses vont se passer, car dans certains États tout est fait pour que les Noirs ne votent pas, il y a des trucages, des difficulté­s pour la comptabili­té de ce vote. Selon moi, le  novembre, on va se retrouver dans une situation confuse, désordonné­e, et peutêtre la préface à plus de violences. J’espère qu’il y aura un tournant que l’on revienne à une pratique de la démocratie – ce qui n’est pas le cas avec Trump qui a des tendances totalitair­es – et à un retour à une vie politique apaisée. Biden et sa colistière Kamala Harris peuvent jouer gagnant dans ce cas-là. Et même, vu l’âge de Biden, il n’est pas impossible qu’un jour l’Amérique ait à sa tête une femme noire pour la première fois de son histoire.

Que restera-t-il des années Trump ?

Quoi qu’il arrive, battu ou réélu la trace de Trump va être là très longtemps. Les quatre années du président Trump auront marqué la vie américaine très fortement.

Johnny avait le goût du travail”

Continuer à aborder la vie avec amour”

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