Negzzia «Jemesuisdit: c’est fini, je vais mourir »
Top model en Iran, Negzzia a fui son pays où sa tête a été mise à prix pour des clichés d’elle apparaissant dénudée et tatouée. À Paris, elle a vécu dans la rue, a fait de mauvaises rencontres. Mais elle a réussi à s’en sortir et le raconte dans un livre.
Que sont quelques paragraphes au regard du chemin de croix de Negzzia ? Des grains de sable balayés par le vent. Des grains de sable, oui, mais qui témoignent de l’existence d’un rivage. D’une plage sur laquelle, aujourd’hui, elle peut laisser l’empreinte de ses pas. En toute liberté. En paix. Celle dont son pays, l’Iran, l’a privée. Faisant de sa fille un démon impudique. Pour des courbes généreuses, magnifiées par un objectif. Pour des tatouages, à fleur d’épiderme. De simples photos, frissons de l’art. Vécues comme un affront par les Mollahs. La provocation d’une jeune femme aux différences affirmées. Elle n’avait pourtant jamais envisagé de quitter son pays. La Téhéranaise y vivait heureuse. Malgré son âme tourmentée. Son appétence, dès l’enfance, d’insouciance. De voler, tel le grand Paon de Nuit, au-dessus des interdits archaïques. Negzzia a donc fui le jour pour s’épanouir à la nuit. Soutenue par son père, son âme soeur, éternelle. Tandis que sa mère lui tournait le dos. Par une journée d’enfer où, dans le bruit, la fureur et les coups, elle a vidé le nid. Et brisé la coquille d’oeuf... « Je lui ai pardonné. Mais je ne veux plus avoir de contacts avec elle. Elle est mauvaise. » Dans le brouhaha d’une brasserie parisienne, la miraculée panse la plaie. So far away... Préférant se souvenir de ces journées à écouter Sinatra. En rêvant d’une vie meilleure qu’elle a touchée du bout des doigts. Dans la clandestinité où se réfugiaient – et se réfugient encore – les artistes iraniens. Indépendants. « C’était un risque à prendre, nous avions soif de vie. La scène underground grandissait de jour en jour. J’étais fière d’être une underground girl .» Du haut de ses 20 ans, une photographe en vogue même, puis un modèle convoité. Si convoité qu’il en a oublié les dangers de poser sous le manteau. Ne s’est pas méfié, non plus, des conséquences de ses refus à la voracité de certains hommes. Prédateurs à l’influence nauséabonde.
Inondée d’insultes sur Instagram
«Pute» , « salope » , « dis adieu à ton corps », son compte Instagram est inondé d’insultes. « Il fallait à tout prix que je quitte Téhéran pour quelque temps. Parce que la prison et 144 coups de fouet m’attendaient. J’étais considérée comme une atteinte aux bonnes moeurs, comme l’ennemi public n°1 ! » Le visage dissimulé derrière son hidjab, la « sorcière », apeurée, s’est exilée à Istanbul. Pour deux semaines, qui dureront deux ans. Et c’est une nouvelle chanson qui guidera ses pas. Ne me quitte pas... Puis elle laissera la Turquie derrière son ombre fugace pour rallier Paris. Ses lumières, l’agitation de SaintGermain, les grandes maisons de l’avenue Montaigne. Le berceau du « tout est possible ». Sauf que son contact la dupe. Ses économies s’amenuisent. On ne cherche pas à la comprendre, juste à la prendre. Mais jamais ce rocher ne se couchera pour survivre. Préférant les morsures de la rue, au home sweet homme. Aux mains sales sur son corps en détresse... « C’était un cauchemar et, dans ces cas-là, tu attires les gens mauvais. » Les croquemorts de la vulnérabilité. Les cafards de la fragilité. Tel ce Léo de Pigalle, rabatteur, qui la séquestre. Elle ne devra son salut qu’à une tentative de suicide. Ou cet autre, prêt à la loger pour ses faveurs et qui lui jettera à la figure, en gentleman du caniveau : « Mais tu n’as pas le choix, chérie, tu es une esclave ! » Jamais. Durant des mois, son toit sera sans charpente. Son ciel, le béton d’un parking sous-terrain. Elle se terre, bouffée par le froid, affamée, vagabonde. S’en remettant aux voix silencieuses de Notre-Dame... «Jeluiai demandé de me faire un signe. Pourtant je ne suis pas croyante. Mais je prie tous les jours. Je parle avec l’univers et je crois en l’humanité. Je suis forte. »
Castaner s’empare du dossier
Elle a cru mourir. À bout de forces. Un coup de pouce du destin en décidera autrement. «Delamagie», dit-elle. Il n’y avait que lui à la terrasse de ce café. Que ce journaliste de L’Express, à l’oreille attentive. Il relatera son infortune. Son bras de fer avec les services de l’immigration. La machine de la médiatisation est enclenchée. Christophe Castaner, alors ministre de l’Intérieur, s’empare du dossier. Le soleil se lève sur ses champs de brune brume. « Je veux encore le remercier. Monsieur Macron aussi. Je sais que ça n’arrive pas à tout le monde. » D’où l’écriture de son livre. « Je porte une lourde responsabilité désormais. Ma voix doit porter pour la défense des réfugiés. De ceux qui meurent chaque jour en France. Si tu les acceptes, tu dois les protéger. Sinon ne les accueille pas... » Militante politique Negzzia ? « Non. J’aimerais simplement que tout le monde comprenne notre situation. » Elle ne reverra plus le palais du Golestan. Le bazar de Tajrish. Le Pont Tabiat et le Mont Tochal. Elle ne reverra peut-être plus son papa, bloqué là-bas, et pour lequel elle a «peur» . « Il est mon amour. » Au plus profond d’elle-même, elle sait « que tout ira bien. Je suis protégée. J’ai des amis. Et j’irai au bout de mes rêves. » Un jardin secret. Dont cette fleur de lotus (tatouée sur son index) – « si belle alors qu’elle pousse dans l’eau sale » – garde jalousement la clé. La porte du paradis s’ouvrira bien assez tôt...
J’étais considérée comme une atteinte aux bonnes moeurs, comme l’ennemi public n°... ”
C’était un cauchemar et, dans ces cas-là, tu attires les gens mauvais ”
Negzzia a ans et est Iranienne. Mannequin et photographe dans son pays, elle a dû fuir Téhéran : la police religieuse punit l’atteinte à la pudeur d’au minimum coups de fouet. Parce qu’elle a révélé ses tatouages et sa nudité devant les objectifs et sur les réseaux sociaux, dans le milieu underground iranien, elle est traquée par la Police de la vertu, menacée du fouet. Elle est obligée d’abandonner sa famille, ses amis, sa jeunesse. À son arrivée à Paris, elle caresse l’espoir d’exercer sa profession librement. Mais elle n’est qu’une réfugiée et, pendant des mois, elle mènera un long combat pour obtenir l’asile politique. Des podiums à la rue, elle n’a jamais cessé de se battre pour la liberté.
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