Denis Pietri, moulinier au long-cours
Le capitaine de marine marchande, en retraite depuis un an, a créé le moulin de la Malissonne en 2004 et l’a équipé d’une “salle des machines” unique qui filtre l’huile. Portrait d’un moulinier pressé
Passionné au long cours. Toujours, les horizons bleu mer du capitaine de marine marchande Denis Pietri, 59 ans, ont été teintés de vert olive. Jusqu’à l’heure de la retraite, il y a un an, jamais son « rêve de gosse » ne l’a abandonné. Du Pacifique à l’océan Indien, où le jeune lieutenant a tenu la barre des navires de la CGM, à la mer Méditerranée que le second capitaine a sillonnée à bord des navires de la SNCM durant plus de dix ans, jusqu’aux postes de commandement des remorqueurs qu’il a dirigé pendant vingtdeux ans dans le port de Fos-surMer, se rapprochant de la terre ferme avec déjà en germe « l’idée de retrouver un rythme de terrien pour s’occuper de mon terroir » ,sa boussole intérieure a inlassablement indiqué La Cadière.
Dans un ancien moulin du XVIIe siècle
En 2004, encore en activité, – «Je voulais disposer de l’énergie nécessaire » – il crée le moulin de la Malissonne, qu’il intègre – « pour m’amuser » – dans la maison natale de son épouse, elle-même issue d’une famille de viticulteurs. Dans un ancien moulin du XVIIe siècle. « Côté maternel, mon arrière-grandpère, Henri Jansoulin, qui a été maire du village, et mon grand-père après lui étaient viticulteurs et en exploitaient un sur la commune. Il a fermé en 1956, après le grand gel. Au début du XXe siècle, dix-huit moulins étaient encore en activité à La Cadière, glisse-t-il. J’ai été un peu freiné par ma mère qui m’a dit “tu sais, c’est une folie, c’est très dur…” et elle avait raison, mais j’ai quand même réalisé mon rêve de rouvrir le moulin familial. »
C’est dans la grande bleue que Denis Pietri, qui grandit à Marseille et passe ses week-ends dans la campagne cadiérenne, noie sa première passion. « Je ne pensais pas aux olives, car hier comme aujourd’hui, ce n’est pas rentable ; j’ai songé à la viticulture, mais le goût de la mer a pris le dessus. » Un atavisme. « On va vers ce qu’on connaît. Du côté de ma famille paternelle, mon grand-père et mon père étaient marins, De Luri dans le cap Corse… J’étais un passionné de voile, de régate ; mon père était officier radio et moi je n’avais qu’une idée, c’était faire l’école nationale de la marine marchande que j’ai intégrée en 1981 à 20 ans et d’où je suis sorti capitaine première classe ». Le passage à la vie rurale, après plus de 36 ans de mer a été difficile. « Mon équipage, c’était presque mes enfants. Ils en avaient tous l’âge… Je suis toujours en contact avec eux. La retraite, ça a été très dur car j’ai quitté le métier que j’aimais en même temps que ma seconde famille ». Sa passion va au-delà du moulin
dont la capacité de production est de 10 tonnes par jour et où les apports (2 000 oléiculteurs actifs) sont acceptés à partir de 10 kg… Car même si les apporteurs sont toujours plus nombreux, les saisons sont irrégulières. «De 100 tonnes, et on ne rentre pas dans nos frais… à 380 tonnes, comme en 2017, une grosse année. C’est pas assez ou trop. C’est un réel problème à gérer. Je vais peut-être limiter le nombre d’apporteurs, regrettet-il, militant pour une complémentarité entre les moulins (il y en a quatre sur le bassin de production de Ceyreste à Ollioules) difficile à mettre en oeuvre ».
Modifier les pratiques culturales
Ses statistiques sont imparables. « D’une mauvaise année sur trois, on est passé à une mauvaise année sur deux. Et on vient de connaître sur le terroir Saint-Cyr – La Cadière, trois mauvaises années de suite ! Avec des campagnes de cueillette qui démarrent un mois en avance. C’est un peu catastrophique », analyse-t-il. Il y a une solution.
Denis Pietri la met en pratique sur son verger expérimental, planté de
400 oliviers, sur 1,5 hectare au lieudit “La font de la Luquette”, à quelques kilomètres de son moulin, toujours à La Cadière, où il anime des formations gratuites de taille de l’olivier simplifié. Une technique importée d’Italie, celle des « maîtres Toscans » auprès desquels il s’est formé, qui optimise l’équilibre des rendements. « J’essaie de modifier les pratiques culturales pour qu’il y ait des années régulières dans la production, pour atteindre un équilibre végétatif productif. C’est intéressant pour les moulins et pour les producteurs ! » s’exclame-t-il.
Une chaîne de filtration bio en continu
Et il en a dans la cambuse Denis Pietri ! Passeur et inventeur. Fort de ses connaissances en mécanique marine, l’exchef mécano a équipé son moulin d’un extraordinaire et innovant système de filtration en continu bio. Là où ailleurs, au sortir des centrifugeuses, les premières pressions d’huile d’olive brun (la variété endémique de Toulon à La Ciotat) doivent longuement décanter pour se débarrasser de leurs impuretés, au risque de s’oxyder et de perdre en saveur, au moulin de Malissonne, l’huile d’olive filtrée est immédiatement commercialisable. « J’ai conçu la chaîne avec du matériel de fabrication suédoise AlphaLaval, la même société qui équipe les bateaux dans la marine… Vous avez vu comme c’est exigu, c’est ma salle des machines ici ! Comme sur un bateau », sourit le moulinier, toujours actif, sérieux, en train de filtrer l’huile des Domaines Bunan. « Les premiers qui m’ont fait confiance ». Aujourd’hui, à l’heure de sa 17e campagne, il travaille pour la majorité des domaines de bandol. « Mais c’est du folklore tout ça ! L’huile d’olive ce n’est plus rentable sur la façade maritime. Moi-même je passe pour un ovni, je travaille sans but lucratif. Je suis même obligé de vendre de l’huile pour tenter de rentrer dans mes frais », constate le moulinier, cheveux en brosse, le visage en olive, physiquement en forme mais toujours pressé, l’oeil sur l’horloge et les cadrans de ses machines, avec l’air de gérer son stress... Mais qui aimerait
Famille de marins et de mouliniers”
C’est ma salle des machines ici ! Comme sur un bateau”
bien souffler un peu et « profiter de la retraite ». Il n’y a pas de relève. « Aujourd’hui, moulinier un métier de technicien et un moulin, croyez-moi c’est très dur à porter ! Je donne beaucoup, physiquement et financièrement ! » Sa fille, chirurgienne-dentiste qui se spécialise dans l’endodontie sous microscope à Madrid, titulaire d’un magistère en droit des affaires, n’a pas marché sur les traces de ses ancêtres, mais vogue vers d’autres horizons tout aussi prestigieux. Denis Pietri, passionné comme au premier jour, ne lâche pourtant pas la barre. « Je vais encore continuer dix ans si Dieu me prête vie », souffle-t-il. La religion des olives.