Au quotidien, vivre
À la veille de la journée mondiale du Sida, rencontre avec le Dr Alain Lafeuillade. Spécialiste varois du VIH, il a recueilli les témoignages de vingt de ses patients, comme autant de luttes intimes partagées
Comment vit-on aujourd’hui avec le virus du Sida ? Presque quarante ans après la découverte du Sida, puis du VIH, c’est la question que s’est posée le Dr Alain Lafeuillade. Ancien chef de service hospitalier à Toulon, spécialiste des maladies infectieuses et des immunodépressions et professeur associé à l’Université du Maryland, cela fait presque trente ans qu’il s’investit dans la lutte contre ce fléau et qu’il soigne des personnes séropositives. Il a décidé de donner la parole à vingt de ces patients volontaires qu’il côtoie parfois depuis très longtemps. Pour aller audelà de la consultation technique, évoquer leurs parcours de vie, leur ressenti face à la maladie. Avec la journaliste Nicole Fau, il les a reçus pour des entretiens qui n’avaient plus rien d’une consultation de routine, les invitant à se livrer, à partager leur expérience de la maladie. Vingt témoignages que l’on retrouve dans un ouvrage, Vies et VIH – vivre avec le virus du Sida ,publié aux éditions Sydney Laurent, complétés par le regard de quelques-uns des soignants qui les ont côtoyés toutes ces années. Vingt témoignages qui, à la veille de la journée mondiale contre le Sida, rappellent que «lalutte est loin d’être terminée » ,que l’épidémie « ne doit pas être banalisée ». Le virus est toujours là, tapi dans les cellules dormantes. Prêt à se réveiller.
Pourquoi avoir souhaité donner la parole à vos patients ?
En suivant mes patients en consultation, au fil des années, je les ai vus affronter la maladie de façons très différentes. Certains en l’assumant, d’autres en la cachant, jusqu’à choisir des horaires de consultations tôt le matin en espérant ne croiser personne dans les couloirs de l’hôpital. J’ai eu envie de proposer à vingt patients de témoigner, pour montrer à quel point la maladie impacte leurs vies et combien le vécu peut être totalement différent d’une personne à l’autre. Comme le sont d’ailleurs le mode ou les circonstances de transmission du VIH. Il y a des gens de toutes les classes sociales, de tous les milieux : des prostitués, des toxicos mais aussi ce prof de sciences, parfaitement informé, qui fait une primo-infection avec toutes les IST (infections sexuellement transmissibles, Ndlr) possibles et imaginables et qui finit par expliquer que c’est toujours la pulsion qui finit par l’emporter sur la raison…
Vous donnez aussi la parole, à la fin de l’ouvrage, à des soignants qui ont travaillé avec vous…
J’ai eu envie de compléter avec leurs regards : celui de la psychologue, d’une infirmière qui était là à la création du service d’infectiologie à l’ancien hôpital Chalucet à Toulon et puis avec le point de vue du Dr Chevalier, le médecin du Cegidd (centre gratuit d’information et de dépistage et de diagnostic). Lui aussi voit beaucoup de gens qui prennent des risques…
En , quelle représentation sociale du VIH ?
Ce n’est plus une “maladie à la mode” ! Probablement parce qu’elle se traite facilement, avec des trithérapies qui ne comptent plus qu’un seul comprimé par jour, très bien supporté, sans effets secondaires… L’amélioration thérapeutique a contribué à banaliser la maladie. Il n’y a plus de panique chez les nouveaux patients…
Il faut se souvenir qu’au début de l’épidémie, il n’y avait pas de traitement. Les gens mourraient. Puis on a réussi à ralentir l’évolution de la maladie, les premières trithérapies sont arrivées en , avec une quantité d’effets secondaires très difficiles à supporter au quotidien… Et peu à peu, on a pu mettre au point des traitements sans effets secondaires immédiats.
Aujourd’hui ce n’est plus aussi compliqué de vivre avec le VIH ? Du seul point de vue médical, c’est plus simple de vivre avec le VIH que d’avoir un diabète insulinodépendant ! Si une personne séropositive prend son traitement correctement, son espérance de vie rejoint celle de la population générale. Il y a même une étude hollandaise qui montre que cette espérance de vie peut dépasser celle de la population générale, parce que ces gens sont suivis régulièrement au niveau médical. Après, vivre avec au quotidien, c’est une autre histoire, c’est ce que montrent les témoignages.
Peut-on en guérir ?
Non, malheureusement pas ; Même si deux patients l’ont été, c’était dans des circonstances très particulières. La guérison « du patient de Berlin » est intervenue après qu’il ait été atteint d’une leucémie aiguë et traité par une greffe de moelle osseuse. Il a vécu treize ans sans le virus avant de faire une rechute de sa leucémie. Le second patient, à Londres, a été guéri de la même façon. Mais la greffe de moelle osseuse ne peut pas être un traitement du VIH : il y a beaucoup de casse, % des gens y restent ! Ceci dit, ce genre de guérison booste la recherche : on sent qu’on peut y arriver.
Comment agissent les traitements actuels et où en est la recherche ?
Les thérapies actuelles bloquent la multiplication du virus dans l’organisme : on parvient désormais à obtenir des charges virales indétectables. L’intérêt, c’est que les lymphocytes CD ne sont plus détruits et leur taux peut remonter. Le processus est plus ou moins long, mais le sujet récupère ses défenses immunitaires et peut se prémunir des complications de la maladie, ces infections opportunistes qui se multiplient et qui finissent par tuer. Mais même si la charge virale est indétectable, le virus est toujours là, caché dans les réservoirs des cellules dormantes. Il attend l’arrêt du traitement pour revenir à la charge. Aussi, les chercheurs sont sur la piste de thérapeutiques qui ciblent le virus à l’état latent dans les cellules réservoir. L’idée est d’identifier ces cellules et de déclencher une action immunologique pour les tuer.
L’espoir d’un vacci subsiste-t-il ?
Il y a toujours des équipes qui travaillent sur ce sujet, mais après trente ans, c’est toujours un échec. Il y a au moins neuf sous-types de virus VIH à travers le monde et du fait des voyages, il y a eu des recombinaisons de ces sous-types. C’est compliqué de trouver un vaccin efficace sur tous ces sous-types. De plus, c’est un virus qui mute et « anesthésie » les lymphocytes CD qui devraient le combattre. Le vaccin, c’est un espoir largement déçu. Ça m’étonnerait qu’on y arrive un jour… Mais il y a des optimistes dans l’âme qui continuent d’y travailler.
À quelques jours de la journée mondiale contre le Sida, quel a été selon vous le rôle des associations depuis le début de l’épidémie ?
Il a été moteur dès le début. AIDES et Act UP, chacune à leur manière, plus soft pour la première, plus virulente pour la seconde. Un exemple : les labos ont sorti le Ritonavir à gélules par jour en et quand on a eu d’autres médicaments, qu’on ne l’a plus utilisé que comme « booster » avec un seul comprimé par jour, la firme a voulu multiplier le prix par six. Sans Act Up pour tout casser, ils ne seraient pas revenus en arrière… L’action des associations a été décisive sur beaucoup de points. AIDES est plus dans l’accompagnement, l’aide au malade, Act Up plus dans le militantisme, la surveillance des « Big Pharmas »… Je me souviens d’activistes dans des congrès médicaux : on ne voit pas ça ailleurs mais ça a fait progresser les choses. Indéniablement !
« Du seul point de vue médical, c’est plus facile de vivre avec le VIH que d’avoir un diabète insulinodépendant ».