« Se libérer du poids du silence est ce qu’il y a de plus compliqué »
Christine Ganneval, psychanalyste à Nice, répond à nos questions.
Quelles sont les conséquences de l’inceste sur la vie quotidienne, le comportement, les relations affectives des personnes victimes ?
L’inceste est caractérisé par des traumatismes répétitifs, qui durent dans le temps, parfois des années, qui déclenchent souvent des maladies. Leur impact est non négligeable sur la santé mentale avec ce qu’on appelle le « retour du refoulé ». Le cerveau parvient à bloquer des souvenirs qui reviennent sous forme de flashback et peuvent entraîner anxiété, dépression, troubles du sommeil, phobies (pour éviter l’angoisse, on va focaliser ses peurs sur autre chose), conduites addictives, idées suicidaires. Les souvenirs remontent parfois à la surface à l’occasion d’événements de la vie comme l’adolescence, la maternité. Certains ont peur de devenir parents car comment avoir confiance en l’adulte quand leurs propres parents n’ont pas su les protéger ? Ces traumatismes ont aussi un impact corporel : l’obésité, parce que le corps se protège, l’anorexie pour gommer les formes et ne plus être attirante. Les répercussions sur la sexualité sont nombreuses comme une sexualité déviante, la frigidité, des vaginites.
Quelle prise en charge pour surmonter le traumatisme ?
La première étape est de parler.
Se libérer du poids du silence est ce qu’il y a de plus compliqué. Les personnes ont peur que ça soit pire ensuite, de subir des menaces, de ne pas être crues. Pour pouvoir parler il faut se sentir en sécurité, être entouré des bonnes personnes, amis, conjoint.
La thérapie apporte également un cadre sécurisant : la personne y est entendue, sans jugement. Ensuite c’est important de nommer l’inceste et de se reconnaître comme victime, de se déculpabiliser. Vient enfin la « réparation », dans le sens où on réécrit l’événement traumatique et on le transforme, sinon le risque est d’enclencher une somatisation. L’écoute, l’hypnose, les thérapies comportementales et cognitives ou E.M.D.R. (eye movement
Christine Ganneval.
desensitization and reprocessing, thérapie qui consiste à guérir les traumatismes par des mouvements oculaires) y contribuent.
Vous évoquez la déculpabilisation. Le Sénat
(DR)
s’est justement penché ce jeudi sur le consentement des moins de ans.
Les victimes d’inceste sont des enfants ou des adolescents. Ils n’avaient pas les armes pour dire non, pour se défendre et l’omerta familiale fait qu’ils ne pouvaient pas s’exprimer.
Il faut leur rappeler que ce qui s’est passé n’est pas de leur faute, que le problème ne venait pas d’eux et que l’autre, l’adulte ou l’adolescent, plus âgé, était plus à même de savoir ce qu’il faisait.
Arrive-t-on à s’en sortir ?
Oui et heureusement ! Mais c’est long, très long. Les victimes vont apprendre à vivre avec et avoir confiance en la vie.