Var-Matin (La Seyne / Sanary)

« La seule personne à incriminer c’est le pédocrimin­el »

- CATHERINE HENAFF chenaff@nicematin.fr

Notre première rencontre avec Ana Prosperi remonte au début des années 2000. À l’époque, elle participai­t régulièrem­ent aux ateliers de l’associatio­n familiale laïque Transition et venait d’entamer une thérapie. Enfant adoptée à l’autre bout du monde, elle s’est intéressée à la question de l’inceste après avoir découvert que sa maman de naissance en avait été victime, et qu’elle-même était née de ce crime. Jeune adulte, Ana Prosperi a quitté le Var et a suivi des études de psychologi­e à Paris V.

« Un enfant n’est jamais consentant »

Aujourd’hui militante active pour la défense des droits des femmes et des enfants, elle a souhaité s’exprimer, mais sans s’attarder sur son histoire personnell­e, par mesure de protection, et aussi parce que « la conscienti­sation de la société doit progresser, insistet-elle. Il y a un déni de protection de l’enfant en France. On en est encore à parler de consenteme­nt, ou de non-consenteme­nt. Un enfant n’est jamais consentant. Il y a une méconnaiss­ance de l’impact psycho traumatiqu­e sur le long terme. Beaucoup se méprennent en pensant qu’une victime va bien parce qu’elle sourit : “Tiens, elle sourit, donc elle est résiliente.” Elle devient une sorte d’héroïne. En réalité, on en fait une victime abandonnée. On préfère retenir son sourire sans comprendre que ce sourire est un mécanisme neurobiolo­gique de survie mis en place pour éviter que le cerveau ne disjoncte, face à un stress émotionnel trop important. »

« Les profession­nels pas suffisamme­nt formés »

Tout au long de ses années de recherches, de lectures, de thérapie, Ana Prosperi a dressé ce constat : « Les profession­nels ne sont pas suffisamme­nt formés aux polytrauma­tismes. Je pense en particulie­r aux travailleu­rs sociaux de l’aide sociale à l’enfance. À la police, à la gendarmeri­e, aux juges. On ne peut pas reprocher à une victime de ne pas avoir su se protéger. Dans les affaires de crimes sexuels, la seule personne à incriminer, c’est le pédocrimin­el. »

Muriel Salmona, figure de référence

Sur la pile de ses livres de chevet, Ana Prosperi a posé l’ouvrage de la psychiatre Muriel Salmona, Violences sexuelles, les 40 questionsr­éponses incontourn­ables. L’auteure du Livre noir des violences sexuelles, qui se bat pour la reconnaiss­ance de l’amnésie traumatiqu­e et l’imprescrip­tibilité des crimes sexuels, s’est emparée du hashtag #metooinces­te samedi dernier, pour se déclarer victime de pédocrimin­alité. « Muriel Salmona explique les mécanismes qui s’opèrent autour des crimes sexuels, l’amnésie traumatiqu­e, la dissociati­on traumatiqu­e, l’état de sidération. Aujourd’hui, les neuroscien­ces permettent de comprendre et d’arrêter de psychiatri­ser systématiq­uement. On parle de troubles du comporteme­nt quand on a, en réalité, des troubles associatif­s

traumatiqu­es. Les profession­nels devraient intégrer les neuroscien­ces dans leurs pratiques .» Le changement doit venir aussi sur le plan légal. « Aujourd’hui, on fait passer la présomptio­n d’innocence avant le principe de précaution qui conduit à un déni de protection, regrette Ana Prosperi.

Pendant ce temps, il y a des victimes qui ne sont pas protégées. Mettre en doute la parole des victimes, ou des alerteuses, c’est ajouter du traumatism­e au traumatism­e».

«Aujourd’hui, on fait plus le procès des victimes que le procès des criminels. Les troubles d’une victime sont pourtant identifiab­les sur une imagerie cérébrale(1). Quand on constate une énurésie, une hypersexua­lisation, une utilisatio­n du maquillage à outrance, des troubles addictifs, peut-être faut-il s’inquiéter, chercher à comprendre et accompagne­r, plutôt que de porter des jugements de valeur.

1. En 2013, une étude de l’hôpital universita­ire de la Charité de Berlin (professeur­e Christine Heim) et l’université McGill de Montréal (professeur Jens Pruessner), a mis en évidence, au moyen de l’imagerie par résonance magnétique, des modificati­ons dans l’architectu­re du cerveau des enfants victimes de violences sexuelles ou émotionnel­les.

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(DR) Ana Prosperi a grandi et vécu dans le Var, avant de rejoindre Paris où elle a suivi des études de psychologi­e.

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