Var-Matin (La Seyne / Sanary)

L’INTERVIEW SANS FILTRE

Ses vérités sur la maladie, la crise, l’OM... Son inquiétude pour l’avenir de la planète

- Jean-François Roubaud - jfroubaud@nicematin.fr

Il vient de fêter ses 78 ans. Vacciné de frais, Bernard Tapie se raconte. Le cancer qui le ronge mais qu’il repousse : « Il faut parfois désobéir à son cerveau ». La crise sanitaire qui le met en colère. La fin de la créativité à la française : « On est passé de l’institut Pasteur à l’institut farceur ». La gouaille mais au service d’une lucidité sur le monde qu’on laisse à nos enfants : « Je suis fan de Greta Thunberg ». Toujours Droit au But, Tapie ! Comment va Bernard Tapie ?

La vérité c’est que je traverse un moment difficile. Quand je dis difficile, ce n'est pas la traduction de mon ressenti – je suis toujours déterminé à me battre –, mais celle du dernier diagnostic. On avait trouvé un traitement expériment­al à un moment où les tumeurs se métastasai­ent depuis l’estomac dans les poumons, dans la gorge. Et ç'a été formidable, même si c’était très dur à supporter.

Plus dur que les traitement­s traditionn­els ?

Wouah ! Rien à voir. Une chimiothér­apie vraiment violente, mais extraordin­aire au point qu’en  mois mon cancer avait perdu  % de son volume. J’étais très heureux.

Et puis juste avant l’été, en une semaine de temps, tout change. Je me sens extrêmemen­t fatigué. Je n’arrive plus à faire du vélo. On refait un scanner en urgence, et là, les tumeurs ont doublé et de nouvelles métastases s’accrochent dans mes poumons. C’est un choc, mais on décide d’insister. Sauf que deux mois plus tard, à la fin de l’été, un scanner révèle que les tumeurs ont encore doublé…

Le combat continue malgré tout ?

Oui, avec mes médecins, comme c’est chaque fois le cas avec tous les malades, on tente un nouveau truc qui n’est pas évident. Encore un protocole expériment­al, de ceux où avant qu’on puisse te l’administre­r, tu dois signer des décharges en pagaille. Là, pour le moment, il est encore trop tôt pour savoir s’il portera ses fruits.

Emmanuel Macron vient de présenter son plan cancer. Qu’est-ce que cela vous inspire ?

Le cancer est tabou. Je ne supporte plus qu’on cache cette maladie en l’appelant

“la longue maladie”. Il faut savoir regarder le cancer en face. Ce n’est pas une malédictio­n. À chaque instant dans ton corps, il y a quelques cellules saines qui prennent un sens interdit. En général, la brigade de défense dégaine. Boum boum et les élimine. C’est quand la riposte ne s’avère pas assez efficace que le cancer se développe. Ce qu’il faut savoir, c’est qu’il y a un nombre incroyable de petits laboratoir­es qui travaillen­t sur les nouvelles molécules. En huit jours de temps, ils peuvent trouver. La recherche avance, mais cela doit nous donner la force de ne pas se résigner à laisser ces cellules folles nous détruire.

Tout le monde se demande où vous allez puiser cette énergie…

Je ne suis pas le seul à ferrailler vaillammen­t contre cette saloperie. De nombreux cancéreux luttent et je suis heureux qu’on me tende le micro pour témoigner, car les retours que j’ai sont formidable­s. Je ne compte plus les témoignage­s de gens qui me disent “merci, vous m’avez redonné la pêche !”. Nous sommes tous confrontés à des périodes plus ou moins heureuses. L’état d’esprit et la volonté de surmonter comptent alors énormément. Tiens, cela me fait penser à Basile Boli en finale en .

Le rapport entre le foot et ton cancer ?

À Munich, contre Milan, on débute mal la partie. On est ultra-dominé. À la e minute, après un choc, Basile s’effondre. Soigneurs, arrêt de jeu. Panique sur le banc. Depuis les tribunes avec mon gros talkie-walkie, je demande qu’on ne le remplace pas avant la mi-temps. J'ignore si sa blessure est grave ou pas, mais je revois les images de la finale perdue l’année d’avant et de Basile, en pleurs toute la nuit. Sur la pelouse, Rudi Völler vient gueuler pour qu'on le remplace. Goethals lui répond que Basile restera sur le terrain, en me montrant du doigt il hurle

“L’autre con, là-haut, y veut pas”. Basile reprend le match tant bien que mal. Douze minutes plus tard, il y a ce corner. Je ne sais pas où il trouve la force malgré la douleur de s’élever, mais il marque le but. On gagne la Champion’s League. Il est clair qu’il avait sans doute somatisé sa douleur, réelle certes mais ne nécessitan­t pas sa sortie, par crainte d’avoir à revivre l’échec de la finale de Bari. Les défenses naturelles de notre corps sont aussi le reflet d’une volonté de notre cerveau. Il faut savoir le surpasser. Par exemple : une femme court le  m en  s. Cette même femme est à  m de la berge d’une rivière où son enfant vient de tomber. Elle va courir ce même cent mètres en  secondes. Il faut savoir parfois désobéir à son cerveau !

Vous restez donc définitive­ment sur la pelouse par la force de la volonté ?

En partie mais pas seulement. Mes parents m’ont transmis un bagage génétique formidable. Ma maman est morte à  ans et mon papa à . Ils étaient pourtant tous deux ouvriers, dont l’espérance de vie était alors de l’ordre de  ans. Dix ans de moins que celle des cadres et de ceux qui sont en haut de l’échelle.

Face à une telle maladie, les Français sont-ils vraiment égaux ?

‘‘ Je ne compte plus les témoignage­s de gens qui me disent « merci »”

Je l’affirme avec certitude ! C’est d’ailleurs un des rares points sur laquelle la France est encore en avance sur le reste du monde. Si un grand professeur a un traitement qu’il sait ne pas pouvoir donner à tout le monde, il ne me le prescrira pas à moi, sous prétexte que je m’appelle Tapie. Cette éthique médicale là, je peux vous l’assurer, elle

n’existe qu’en France !

‘‘ Les défenses naturelles de notre corps sont aussi le reflet de notre cerveau”

En est-il de même pour l’accès aux traitement­s expériment­aux ?

Oui, tout le monde y a droit aussi. En revanche, on peut se poser la question du faible nombre de protocoles expériment­aux accessible­s en France. Et cela nous ramène à l’affaire du vaccin contre la Covid. Pourquoi suis-je allé en Belgique tenter ce traitement qui, un temps, a réduit mes tumeurs de  % ? Lorsque le laboratoir­e américain a saisi les autorités de santé européenne­s pour obtenir une autorisati­on, la Belgique a donné son accord en moins de trois mois. Au bout d’un an et demi, les autorités françaises, elles, n’avaient toujours pas répondu…

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