Var-Matin (La Seyne / Sanary)

Charles Pasi le souffle sauvage...

Le petit prince blanc du blues revient au coeur de la jungle musicale avec un nouvel album intitulé Zebra .Dela musique qui fait du bien à l’âme.

- RAPHAËL COIFFIER rcoiffier@nicematin.fr

Le cliquetis d’un briquet, le frémisseme­nt du tabac qui se consume à en deviner les volutes de fumée. Et une voix. Avec ses galets roulés par le torrent. Une voix éraillée née pour chanter le blues sur le trottoir dans les clubs où il fait noir...

Charles Pasi est de cette veine. De cette trempe d’artistes inclassabl­es. Il porte aussi bien le jean que le costard. En fait, il semble tout droit sorti d’un film de Scorsese. Mi-homme, mi-loup. Rebelle, surtout...

Un Gavroche parisien qui aurait enflammé les caves de Saint-Germain, dévergondé les comtesses et renversé les titres sur la table. Avec sa gueule d’ange, il a damné les incertitud­es, bafoué les angoisses, défié la destinée car rien ne le prédestina­it à la musique du diable. Celle qui chamboule les âmes. Sauf Dylan qu’il écoutait lycéen. Ce Dylan qui, il ne sait pas vraiment pourquoi, l’a poussé à acheter un harmonica. Son premier d’une longue collection...

« Je pensais que ça n’irait pas plus loin. Et puis je me suis intéressé aux harmonicis­tes et j’ai senti qu’il se passait un truc... » Pour draguer les filles ? « Non, là c’était compliqué ! Un challenge. Je ne sais pas, j’ai pris une claque. J’ai eu un coup de coeur. Cet instrument était un peu comme moi, sous-estimé... » Le perturbate­ur était subitement convaincu que, lui et son nouveau compagnon, allaient se refaire. Au point de répondre aux profs, en terminale : « Ce que je veux faire plus tard ? Jouer de l’harmonica ! » Comme Guy Degrenne, Charles a essuyé les haussement­s d’épaules. Il leur a tourné le dos. S’en allant, ci et là, écouter les meilleurs. Ou pas. S’imprégner de son mini-moi. Vivant par la magie de sa respiratio­n...

« C’est assez étrange, mais la bascule s’est faite tout de suite. Il y a eu quelque chose de l’ordre de la rencontre... » Une liaison sans autre ambition que la jouissance de jouer. Note après note. « C’était du pas à pas. Monter sur scène, je n’y pensais pas un instant. » Une deuxième blonde s’évanouit au bout du fil tandis qu’il remonte le temps...

« Je me disais peut-être qu’on me filera un euro dans la rue, puis dans un bar. » Dans les couloirs du métro, à Rome – « où on se faisait virer toutes les dix minutes »– il en a récolté quelques-uns. Avant les petits cachets dans les maisons de retraite, les centres pour handicapés, les clubs d’infortune. « Il ne me manque que les prisons. Mais j’attends de m’étoffer un peu ! » Comprenez physiqueme­nt. Car pour son blues sans frontière, l’embarqueme­nt est immédiat. Le fruit, sûrement, de sa trajectoir­e purple rain...

Une lettre à Archie Shepp

De sa fureur de vivre, quoi qu’il en coûte. Le garnement n’a-t-il pas osé écrire une lettre, au culot, à Archie Shepp alors qu’il n’avait pas une tune en poche. « J’étais en autoproduc­tion à Montreuil avec mes potes. Le type m’a dit ok et il a débarqué à 19 heures alors qu’on l’attendait à 14 heures. Mais on s’en fout. J’étais scotché. Tu imagines la générosité du gars ? »

Du grand Archie qui collera, comme un vol de papillons, non pas un, mais deux titres sur le vinyle. Derrière l’aurore boréale, les étoiles ont alors commencé à se dessiner. Une tournée avec Neil Young. Une collaborat­ion « àlacool» avec Carla Bruni. Avec Jane Birkin pour son dernier bijou, Oh ! Pardon Tu Dormais .« Des cadeaux de la vie qui te tombent dessus comme ça... »

Le cliquetis du briquet. « J’adore tous ces univers différents, ça m’aère la tête. Et comme quoi je suis très éclectique. »

Barré et décalé également. En témoigne sa signature au souffle sauvage sur son album Zebra, dont la sortie est prévue (avec un an de retard) aujourd’hui, vendredi 5 février, chez Blue Note.

« Il a été composé entre Paris, New York, Casablanca, Istanbul. Avec des gars dont je ne connaissai­s que la musique. C’était stressant et grisant... »

Les Atef (batterie), Peirani (accordéon) et Dupont (claviers) ont bien essayé d’obtenir des maquettes, des sons, en vain. « Ça aurait pu ne pas marcher. »Or, l’alchimie est envoûtante. Riche d’influences noires et blanches. Une migration sonore au gré d’une savane multicolor­e. Avec la touche de l’indigène Pasi. Passant musical en marge d’un monde où tout se ressemble. Se copie... « Je ne voulais pas de machines mais des instrument­s. Comme l’orgue hammond, aux sonorités si particuliè­res. Ici, on ne triche pas du tout... » Le club s’illumine. Les chapeaux mous tombent. Charles Pasi porte à sa bouche l’harmonica. La solitude des sentiments tire sa révérence. La soul enveloppe nos corps et se love au fond du coeur. Magie noire du petit prince blanc.

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Je ne voulais pas des machines, mais des instrument­s. Ici, on ne triche pas”

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Zebra. (Blue Note)

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