« Hors de question de faire de nos militaires des techniciens de la mort »
Bernard Pêcheur, président du comité d’éthique de la Défense
Président de section au Conseil d’État, ancien directeur général de l’administration et de la fonction publique, viceprésident, puis président du Haut comité d’évaluation de la condition militaire… Depuis longtemps, Bernard Pêcheur est au coeur des questions régaliennes. Sa nomination à la tête du comité d’éthique de la défense s’inscrit dans cette logique.
À la demande de qui a été créé ce comité d’éthique ? Qui y siège ?
Au printemps , l’intelligence artificielle est apparue comme un enjeu majeur pour notre défense. C’est à cette époque que Florence Parly, la ministre des Armées, a eu la conviction de la nécessité de créer un comité d’éthique de la défense pour contribuer à éclairer les questions éthiques soulevées par les innovations technologiques, les nouvelles armes et les nouveaux types de conflictualité. La France est d’ailleurs l’unique puissance à s’être dotée d’une telle structure. Réuni pour la première fois le janvier , ce comité d’éthique est constitué de personnalités civiles et militaires, âgées de à ans. On y trouve aussi bien des officiers généraux (dont Henri Bentégeat, chef d’étatmajor des Armées de à ), que des médecins, des professeurs d’université, des ingénieurs, des juristes, un historien ou encore un philosophe.
Des profils très divers qui offrent une richesse d’approche très intéressante.
Que redoutez-vous de voir apparaître dans les armées s’il n’y a pas de garde-fous ?
Que ce soit sur le « soldat augmenté » ou « l’autonomie dans les systèmes d’armes létaux » – ce qu’on appelle aussi « les robots tueurs » –, les deux sujets sur lesquels le comité d’éthique a été mandaté pour l’année , il faut arriver à concilier la nécessité de garder la supériorité opérationnelle que nous offrent les nouvelles technologies et la préservation des valeurs de nos civilisations. On ne peut pas piétiner les valeurs au nom desquelles on combat. Pour en revenir au « soldat augmenté », il est hors de question de faire de nos soldats des techniciens de la mort, des tueurs, qui perdraient toute ou partie de leur humanité. Nos soldats, malgré leur engagement singulier qui peut aller jusqu’au sacrifice ultime, sont des citoyens comme vous et moi, des parents, des époux, des épouses.
Quelles sont les « lignes rouges » que vous avez fixées ?
Dans son avis sur le « soldat augmenté », le comité d’éthique a émis six préconisations (), autant de lignes rouges jugées infranchissables. Toute augmentation susceptible de diminuer la maîtrise de l’emploi de la force ou de provoquer une perte d’humanité, ou encore de porter atteinte à la dignité du soldat est ainsi proscrite. De même que l’augmentation cognitive des militaires qui porterait atteinte au libre arbitre dont le militaire doit disposer dans l’action du feu. On préconise aussi l’interdiction des pratiques eugéniques ou génétiques, de même que toute augmentation qui mettrait en péril l’intégration du militaire dans la société, ou son retour à la vie civile dans toutes ses dimensions. En d’autres termes : toute augmentation doit être réversible ou compatible, chez le soldat, avec sa qualité de citoyen et d’être humain.
L’éthique d’aujourd’hui, sera-t-elle celle de demain ?
Le cadre éthique est très clair : c’est le refus du transhumanisme. Le système de valeurs de nos armées n’est pas « à géométrie variable ». Maintenant, on est bien conscient qu’un bilan périodique est nécessaire pour faire face à l’évolution très rapide des technologies et des usages et examiner les nouvelles questions qui pourraient se poser.
1. L’intégralité de l’avis du comité d’éthique de la défense sur le « soldat augmenté » est disponible sur le site du ministère des Armées.