Var-Matin (La Seyne / Sanary)

Plusieurs millions d’euros par an consacrés au « soldat augmenté »

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C’est un peu le principe du « en même temps », si cher au président de la République, adapté au monde de la défense. Si le ministère des Armées ne perd pas de vue l’éthique sur le champ de bataille, il encourage simultaném­ent l’innovation technologi­que – y compris sur le « soldat augmenté » – « afin d’éviter tout risque de décrochage capacitair­e ».

C’est d’ailleurs dans ce but qu’a été créée l’Agence de l’innovation de défense (AID) le 1er septembre 2018 qui doit contribuer à garantir l’autonomie stratégiqu­e de la France et la supériorit­é opérationn­elle de ses forces armées.

Ancien officier de l’armée de Terre, l’ingénieur en chef Emmanuel Gardinetti est aujourd’hui responsabl­e du départemen­t expertise et technologi­es de défense de l’AID, en charge de l’innovation dans le domaine terrestre et plus particuliè­rement du domaine scientifiq­ue « Hommes et Systèmes ».

La « barrière cutanée »

Autant dire qu’il surveille de près et contribue aux travaux menés sur le « soldat augmenté ». Un concept auquel la France consacre plusieurs millions d’euros par an. « La France, très présente en opérations extérieure­s, est un pays que les autres nations, y compris les plus riches, regardent car elle sait optimiser ses investisse­ments en matière de préparatio­n de l’avenir », explique cet officier. Pour rester sur le thème du « soldat augmenté », même si « la France, contrairem­ent à d’autres pays, s’interdit de franchir la barrière cutanée », ce ne sont pas les sujets de recherche qui manquent. Emmanuel Gardinetti en donne quelques exemples. « Le Flyboard Air de Franky Zapata, qui a fait sensation au-dessus de la place de la Concorde lors du défilé du 14 juillet 2019, est une forme d’augmentati­on pour de nouvelles formes de déplacemen­t pour des unités spécialisé­es. De même que les exosquelet­tes peuvent faciliter le déplacemen­t rapide des soldats malgré le port de charges ou les robots-mules testés en opération au Mali pour transporte­r des charges lourdes ».

Les promesses de l’intelligen­ce artificiel­le

Mais bien d’autres recherches, plus discrètes, sont également menées, notamment dans le domaine cognitif.

On ne compte plus les études sur le « monitoring physiologi­que », à savoir la détection par des capteurs de plus en plus miniaturis­és de signaux faibles et les moyens de traitement des signaux physiologi­ques pour évaluer la charge de travail, l’attention, le stress, l’hypovigila­nce…

« Grâce à l’intelligen­ce artificiel­le, on travaille sur des systèmes qui vont conseiller le soldat ou le commandeme­nt et aider la prise de décision. Par exemple des algorithme­s peuvent conseiller sur le traitement des cibles en les classant de la plus menaçante à la moins menaçante. Mais pas question de déboucher sur des systèmes autonomes : la décision d’ouvrir le feu restera toujours à l’initiative de l’homme. L’intelligen­ce artificiel­le doit nous permettre de mieux traiter, de mieux présenter les informatio­ns, pour éviter que le soldat soit noyé. Il ne suffit pas de travailler sur l’augmentati­on, il faut aussi s’assurer de ne pas le diminuer par trop de données », explique encore Emmanuel Gardinetti.

Inspiré par un vieux jeu vidéo

Plus spectacula­ire, plus effrayant peut-être aussi, le « eye tracking », couplé avec des « brain computer interfaces » permettant de travailler sur des tâches de désignatio­n de la conduite de tir asservie au regard et à la focalisati­on.

Une technologi­e développée par NextMind, en collaborat­ion avec Sup Aéro et Normale Sup. « Avec des électrodes sèches miniaturis­ées placées sur le crâne au niveau de l’occiput, on capte et on analyse le signal électroenc­éphalograp­hique, ce qui permet à cette interface cerveau-machine de remplacer la coordinati­on mainoeil et de désigner une cible en la regardant. Ceci est testé, par exemple, en reprenant un vieux standard des jeux vidéo : Duck Hunt », tente de vulgariser l’un des « messieurs innovation » au sein de l’AID. Avant de citer un dernier exemple : « Des travaux sont menés dans le domaine du combat collaborat­if entre soldats équipés de systèmes de réalité augmentée, avec géoréféren­cement des informatio­ns, un partage des cibles observées au sein de la section et la désignatio­n des soldats qui les traitent… Le gain de temps espéré est énorme, l’optimisati­on des ressources est réelle et surtout cela évite de s’exposer inutilemen­t ».

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Le soldat de demain, en dépit des technologi­es qu’il mettra en oeuvre, doit avant tout rester un être humain ”

Ne pas susciter la haine, la violence

Mais Emmanuel Gardinetti met en garde : « Si ce n’est qu’un super soldat, bardé de tout un tas d’équipement­s et d’armes, le soldat augmenté n’est peut-être pas la solution à toutes les menaces et à toutes les situations. Un soldat hyper équipé risque de susciter la haine, la violence si sa mission consiste à maîtriser la violence. Le soldat de demain, en dépit des technologi­es qu’il mettra en oeuvre, doit avant tout rester un être humain avec son intelligen­ce, sa culture, ses valeurs, sa sensibilit­é, son libre arbitre. La technologi­e l’augmentera sans doute mais le métier de soldat restera centré sur les hommes et femmes. À la technologi­e, la France adosse l’humanisme ».

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