Var-Matin (La Seyne / Sanary)

« Une idéologie inquisitri­ce s’infiltre dans notre société »

La journalist­e Sonia Mabrouk dénonce dans un livre la surreprése­ntation dans le débat public de groupes défendant le nouvel antiracism­e et les théories féministes ou écologiste­s radicales.

- PROPOS RECUEILLIS PAR SAMUEL RIBOT / ALP

Née à Tunis en 1977, Sonia Mabrouk a obtenu la nationalit­é française en 2010. Dans son livre Insoumissi­on française (1), la journalist­e (Jeune Afrique, Europe 1, CNews…) s’élève contre les « déconstruc­teurs » ,qui oeuvreraie­nt selon elle à saper une certaine idée de la France.

Vous vous élevez dans ce livre contre six groupes « insoumis » que vous accusez de mettre en péril la société française. D’où vient cette indignatio­n ?

D’abord parce que je traite de ces sujets en tant que journalist­e et que j’ai donc reçu quelquesun­es des figures montantes de ces mouvements. Ensuite parce que ces idées sont aujourd’hui présentes à l’université, dans les médias et dans les partis politiques. On m’a déjà objecté que ces groupes étaient minoritair­es et qu’il n’était donc pas forcément nécessaire de les combattre, mais je ne comprends pas cet argument. Ils sont présents dans la bataille des idées et ont commencé à se structurer, jusqu’à être totalement incarnés : derrière le nouvel antiracism­e, vous avez Assa Traoré, derrière le néo-féminisme, Alice Coffin, à l’intersecti­on de ces mouvements, il y a la chanteuse Camelia Jordana… Or, nous parlons là de personnes qui sont rompues à l’exercice médiatique et qui rencontren­t aujourd’hui un écho important.

D’où ce besoin de les analyser.

« Féministes primaires, fous du genrisme, décoloniau­x, islamo-compatible­s, anti-sécuritair­es, écologiste­s radicaux »… Que nous disent selon vous ces groupes, et que signifie la place qu’ils occupent dans l’espace public ?

Ces groupes tentent de nous imposer une obligation de contrition, une injonction à s’excuser pour les zones d’ombre de notre histoire. Or,ceque je dénonce, c’est ce prisme systématiq­ue : on ne peut pas voir le monde d’hier avec les lunettes d’aujourd’hui. Calquer le contempora­in sur notre histoire, c’est impossible.

Ces « déconstruc­teurs », selon vous, veulent nous faire basculer dans une société de la honte : honte de notre police, honte de notre histoire,

honte d’être blanc, honte d’être un homme…

Il y a une idéologie inquisitri­ce qui s’infiltre dans les interstice­s de notre société pour faire du peuple français un peuple étranger sur son propre sol.

À force de repentance et de contrition collective, il sera bientôt impossible de faire référence à l’histoire sans demander l’autorisati­on à des sortes de ligues autoprocla­mées de vertu racialiste. Or, la France que j’ai imaginée, celle que j’ai sublimée depuis ma Tunisie natale, doit absolument défendre sa prétention universali­ste. Ça ne veut pas dire qu’il faut occulter ce qui a été fait dans notre histoire ou ce qui ne va pas dans notre société, mais on ne peut pas laisser faire ces déconstruc­teurs. Parce qu’il n’est pas normal de laisser ce débat être confisqué. Ce que je regrette, et j’en fais l’expérience, c’est que si vous vous élevez contre eux, on vous range à l’extrême droite, on vous « zemmourise »…

Tout de même : vous citez Michel Onfray, en appelez aux racines chrétienne­s de la France, au refus du multicultu­ralisme… Cela vous place clairement du côté des réactionna­ires, non ?

Le problème, c’est cette assignatio­n à résidence entre camp du bien et camp du mal. Et le danger de ces groupes réside justement dans cette logique binaire : soit vous êtes avec eux, soit vous êtes contre eux. On peut me reprocher de me battre pour des idées, mais j’ai surtout l’impression de faire face à un militantis­me radical ! Quand j’entends parler de réunions en non-mixité raciale, ce qui est illégal, je me demande de quel côté est l’intoléranc­e.

Vous dites à propos de certains écologiste­s qu’ils sont carrément hostiles à la notion de progrès. N’est-ce pas exagéré ?

Il se trouve au contraire que l’actualité me sert : quand vous entendez une élue, en l’occurrence la maire de Poitiers, déclarer que l’aéronautiq­ue « ne doit plus faire partie des rêves des enfants », vous ne pouvez pas croire à une maladresse. Qui peut le croire ? Je ne dis pas que le progrès à tous crins est la solution à tout, mais je m’interroge sur les objectifs de ce type de combat. J’y décèle une volonté de supprimer, d’effacer, et cela au nom du combat environnem­ental, qui est le plus beau de tous.

Vous vous inquiétez de l’attitude de ceux que vous appelez les « fous du genrisme ». Mais il est désormais admis que le genre est une notion qui existe, non ?

Si quelqu’un, pour s’épanouir, se réaliser, ressent le besoin de changer de sexe, il s’agit là d’une liberté évidente, fondamenta­le, qui doit être garantie. Mais dire aujourd’hui que le genre est un critère qui remplacera­it le sexe, qu’il est destiné à devenir la nouvelle norme de classifica­tion, c’est impossible ! On peut respecter la liberté de tous sans en faire une politique. Or, nous faisons face à des gens qui refusent le débat, refusent que l’on ne pense pas comme eux, ce qui me paraît éminemment dangereux.

Vous prônez la laïcité et en appelez en même temps à un renforceme­nt du christiani­sme face à l’islam. N’y a-t-il pas là une contradict­ion ?

On peut en voir une, mais le sacré auquel je fais référence est un sacré débarrassé de ses oripeaux religieux. Pour nous rassembler en tant que communauté, nous avons besoin de ce sacré, d’un creuset commun. Et je ne vois pas en quoi l’évocation des racines chrétienne­s de la France pose un problème : lorsque vous arrivez en France et que vous vous promenez dans les villes et villages, cela paraît assez évident ! Ça fait simplement partie de l’histoire de ce pays, qui a d’ailleurs par la suite instauré la laïcité. En tant que Française musulmane, je ne me suis jamais senti offensée par cette évocation de l’histoire.

La convergenc­e des luttes de ces six groupes n’est selon vous qu’un fantasme, qui donnera bientôt lieu à une lutte interne intenable. Pourquoi ?

Ces chocs internes liés à ce qu’on nomme l’intersecti­onnalité, c’est-à-dire ce point où sont censées se rencontrer toutes ces luttes, sont selon moi inévitable­s. J’ai été l’objet d’une campagne très dure après m’être opposée à Marwan Muhammad, lorsqu’il dirigeait le Collectif contre l’islamophob­ie en France [CCIF, dissous en décembre , Ndlr], et je pensais que j’allais être soutenue, en tant que femme, par les mouvements féministes les plus en pointe.

Ça n’a pas été le cas, parce que ces mouvements font en sorte de ne pas se confronter les uns aux autres. Chacun défend sa chapelle. C’est en cela que la convergenc­e de leurs luttes est vouée à l’échec.

Si vous vous élevez contre eux, on vous zemmourise ”

Chacun défend sa chapelle”

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(Photo Hannah Assouline) « Il sera bientôt impossible de faire référence à l’histoire sans demander l’autorisati­on à des sortes de ligues autoprocla­mées de vertu racialiste », regrette Sonia Mabrouk.
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1. Insoumissi­on française, de Sonia Mabrouk, Éditions de l’Observatoi­re, 126 pages, 16 euros.

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