Var-Matin (La Seyne / Sanary)

Les souvenirs amers de la finale perdue en 

- Dossier : Olivier BOUISSON obouisson@nicematin.fr

RUGBY. Le 16 mai 1971, le RCT affrontait Béziers en finale du championna­t. Il ne lui aura manqué que 5 minutes pour décrocher le titre, mais l’attentat sur André Herrero et la relance de Cantoni ont fait basculer le sort de la rencontre. Cinquante ans après, la blessure est encore vive dans la mémoire des joueurs.

Ce devait être leur tour. Le RCT de ce début des années 1970 a tout d’un grand. Avec un très « Grand », le protée et ordonnateu­r André Herrero, tour à tour entraîneur, joueur, intendant, psychologu­e, tribun. Mais aussi un pack d’enragés expériment­és, une deuxième ligne aérienne, un Christian Carrère au firmament de sa carrière, une ligne de trois-quarts solide...

Trois ans après sa cuisante défaite en 1968 face à Lourdes (9-9, Lourdes déclaré vainqueur au nombre d’essais inscrits) et un titre en Du Manoir l’année précédente (1970), le RCT revient en finale. Et pas pour trier les lentilles. Ce match doit marquer l’avènement de la deuxième grande génération du RCT après celle des années 1930. Ce sera surtout le point de départ de l’avènement du Grand Béziers de Raoul Barrière qui remporta dix Bouclier de Brennus en onze finales, de 1971 à 1984. Une hégémonie jamais égalée. En cette saison 1970-71, les Biterrois impression­nent en étant invaincus pendant la phase de poule (12 victoires, 2 nuls), avec leur pack conquérant, sa jeunesse (24 ans de moyenne d’âge), Richard Astre à la mène et le virevoltan­t arrière Jack Cantoni. Mais Toulon est en mission. À partir des 16es de finale, les joueurs décident de ne plus se raser jusqu’à une éventuelle finale. Dans la semaine qui précède le choc face à Béziers, L’Équipe avait monté une photo sur laquelle les Toulonnais étaient allongés sous les poteaux, avec ce titre : « Ces barbus qui font trembler le rugby français ».

L’attentat secret sur André Herrero

Ce 16 mai 1971 à Bordeaux, la guerre annoncée des packs a bien lieu. Les gros se reniflent, se testent, se shampouine­nt. « Ce sont deux très belles équipes qui nous ramènent au rugby pur, au rugby d’engagement, mais malheureus­ement avec des excès inqualifia­bles », estime Roger Couderc en direct à l’ORTF.

Le bras de fer est engagé et c’est Béziers qui porte le premier coup fatal. À la 36e minute, dans un regroupeme­nt, les coups pleuvent et l’un d’eux terrasse André Herrero (1). Le phare du RCT sort sur civière, deux côtes cassées par un violent coup de pompe. « Il pissait le sang de partout, des oreilles, du nez, de la bouche... J’ai bien cru que son foie avait éclaté », racontera le docteur Rocheteau.

Avec une abnégation qui a forgé sa légende, Herrero reviendra en jeu, un masque de souffrance pour seul compagnon. Le plan machiavéli­que des Biterrois a fonctionné car à cette époque, un joueur blessé n’était pas remplacé. Le groupe se réunit en conclave express. Les leaders et internatio­naux Aldo Gruarin et Christian Carrère décident de ne pas lancer de vendetta. Contre l’avis de la majorité du groupe, rouge de colère, ils veulent gagner à la régulière pour faire oublier leur réputation d’équipe violente. Il n’aura manqué que cinq minutes pour que ce choix tactique paye les raisonnabl­es Toulonnais. Jusqu’à cette relance folle de Cantoni qui déboucha sur l’essai égalisateu­r de Séguier.

La relance et la cravate

Sur l’action, l’ailier Roger Fabien commet l’une des cravates les plus spectacula­ires de l’histoire du rugby télévisé (lire ci-contre). Commotionn­é, titubant, Cantoni se relèvera sans se souvenir de la fin du match. Lancés en prolongati­on, évoluant à quatorze valides depuis trop longtemps, les Rouge et Noir baissent logiquemen­t pavillon. Il ne leur restera que les yeux pour pleurer et un retour à Toulon mémorable, dans l’allégresse et la communion. Comme s’ils avaient gagné. L’honneur réservé aux perdants magnifique­s, aux héros pour toujours.

Une dernière parenthèse enchantée avant l’ouverture de l’une des pages les plus sombres du club. Épuisé, lassé, en conflit ouvert avec le président Gilbert Olivier sur la politique sportive, André Herrero veut tout arrêter. Une fracture se crée entre les joueurs et les dirigeants. Finalement, Herrero et neuf des finalistes filent à Nice, à l’anglaise. Cette année 1971 deviendra un crève-coeur éternel.

1. Qui est le coupable ? Si tous les griefs ont convergé vers Alain Estève, celui-ci a toujours nié en être l’auteur si bien que cet attentat en règle est l’un des secrets les mieux gardés du rugby français.

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 ??  ?? André Herrero sort sur civière. Il a deux côtes cassées, il pisse le sang mais revient en jeu. (Repro DR)
André Herrero sort sur civière. Il a deux côtes cassées, il pisse le sang mais revient en jeu. (Repro DR)
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Il y a  ans tout juste, le Toulonnais Christian Carrère (ballon en main) chargeait sur la pelouse du Parc Lescure, soutenu par Nono Vadella, Michel Sappa et Louis Irastorza (de gauche à droite).
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Sur cette image, on croirait les Toulonnais bons pour le mitard. Que nenni. Les quinze finalistes prennent la pose dans l’enceinte du Parc Lescure avant le coup d’envoi de la finale. Debout, de gauche à droite : Vadella, Gruarin, Ballatore, Carrère, D. Herrero, A. Herrero, Hache, Sappa. Accroupis, de gauche à droite : Fabien, Carreras, Bos, Labouré, Irastorza, Delaigue, Giabbiconi.
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Le lendemain de la finale, les joueurs sont accueillis et acclamés depuis la gare jusqu’à l’Hôtel de ville en passant (ici) par le boulevard de Strasbourg.

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