Minée par les bidonvilles et les taudis, Marseille lance un SOS
Le maire, Benoît Payan, a écrit au Premier ministre pour réclamer des états généraux « dans les plus brefs délais ». Élus locaux et acteurs de terrain évoquent une situation sans équivalent en France.
C’est un problème de longue date à Marseille. Mais la mort, le 17 juillet, de trois personnes tentant de fuir un début d’incendie dans un « bidonville vertical » a tragiquement mis le sujet sous les projecteurs. Pour traiter la plaie mortifère du logement indigne, qui atteint dans la cité phocéenne une gravité sans égale en France, élus et acteurs de terrain lancent désormais un SOS.
C’est dans un escalier de la cité des Flamants, dans le 14e arrondissement, que le feu – apparemment d’origine criminelle – s’est propagé, le 17 juillet. Trois Nigérians s’étaient défenestrés, et un jeune enfant et sa mère avaient été gravement brûlés (nos éditions du 18 juillet).
Une urgence humanitaire proche de celle de Lagos
Vouée à la démolition dans le cadre d’un projet de rénovation urbaine, cet ensemble du bailleur « 13 Habitat » compilait tout ce que Marseille a de pauvreté et de trafics. Au milieu des 12 dernières familles locataires, quelque 200 migrants, la plupart nigérians, avaient pris place dans des « squats parfois loués 200-300 euros par mois par des marchands de sommeil qui repèrent les logements vides et changent les serrures », explique Jean-Régis Rooijackers, responsable « Mission bidonvilles Marseille » pour Médecins du monde. Prostitution, point de deal : « Il y avait des chariots partout et il fallait être identifié par les dealers pour pénétrer dans les bâtiments », poursuit une travailleuse humanitaire.
« Ce phénomène des squats est très étendu à Marseille. Aux Flamants par exemple, c’était en grande partie le fait de familles délogées de la cité Corot il y a environ un an », explique Christophe Humbert, directeur de la communication du bailleur social « 13 Habitat ».
« Nous vivons exactement la même situation au Petit Séminaire » ,unensemble de 240 logements délabrés datant de 1959 et en attente de démolition, relate Christian Gil, directeur général de « Marseille Habitat Provence », un autre bailleur social, qui gère 14 500 logements. En novembre, 200 personnes, pour la plupart originaires d’Afrique de l’Ouest, y avaient été évacuées après des incendies dans des bâtiments visés par des arrêtés de péril. Mais sept familles refusent toujours les offres de relogement : « Pour une famille, nous en sommes à neuf propositions. »
Les difficultés de relogement retardent la démolition des bâtiments, et les appartements vides sont squattés, souvent par le biais de marchands de sommeil. Branchements illégaux, infiltrations d’eau, escaliers brisés, murs porteurs percés : « Ce qui est inquiétant ici, c’est qu’on est dans un cercle vicieux, de l’habitat dégradé qu’on ne traite pas, donc des ultra-pauvres s’y installent et ça crée une situation d’urgence humanitaire similaire à certaines villes africaines comme Lagos », alerte Florent Houdmon, directeur de la Fondation AbbéPierre pour la région.
« Jamais je n’aurais imaginé ça en France »
Le phénomène a pris de l’ampleur avec un niveau « de détresse sociale et humaine » record sur fond de Covid-19 dans la grande ville la plus pauvre du pays, s’inquiète JeanPierre Cochet, adjoint du maire de Marseille à la sécurité civile.
« Jamais je n’aurais imaginé ça en France. On vit dans la peur » des trafiquants qui font la loi, témoigne sous couvert d’anonymat une mère de quatre enfants arrivée il y a deux ans. « J’ai connu une famille que des marchands de sommeil ont mise dehors en pleine nuit d’un appartement parce qu’une autre famille était prête à payer plus », raconte une intervenante sociale.
Ce climat suscite des tensions communautaires qui inquiètent les autorités. Alors, près de trois ans après la mort de huit personnes dans l’effondrement de deux immeubles vétustes du centre-ville, rue d’Aubagne, le maire de Marseille Benoît Payan lance un « cri d’alarme ».
Le 23 juillet, il a écrit au Premier ministre Jean Castex, égrenant les chiffres : 41 000 demandes de logements sociaux en attente, 40 000 taudis, 15 000 personnes à un moment ou un autre sans abri, 1 500 personnes dans des squats ou des bidonvilles. « L’urgence de l’enjeu nécessite une réponse rapide et coordonnée », plaide l’élu du Printemps marseillais (union de la gauche), réclamant des « états généraux visant la résorption des squats, bidonvilles et habitats indignes dans les meilleurs délais ».
Alexandra Louis, députée ex-LREM, veut, elle, des réunions a minima mensuelles entre l’État, la Ville, la Métropole et les bailleurs, parlant d’« urgence vitale ». La Fondation Abbé-Pierre demande un « électrochoc », Jean-Pierre Cochet un « plan Marshall ».
Même si les procédures sont longues et complexes, « il faut accélérer », convient le préfet de Région. Mais la clé,à Marseille comme dans toute la région, reste « la construction de logements, notamment de logements sociaux », toujours très insuffisante, souligne Christophe Mirmand (lire ci-dessous).