Il y a cent ans
Le 2 août 1921, il y a cent ans, une nouvelle éclate dans le monde : Caruso est mort. Le ténor le plus célèbre de la planète. Le mythe du bel canto. La gloire absolue de l’art lyrique.
Il s’est éteint dans sa ville natale, Naples, à l’âge de 48 ans. Le monde de l’opéra est en deuil. On raconte que, sentant sa mort arriver, le ténorissimo demanda à son épouse de l’accompagner sur sa terrasse et, soutenu par des proches, il chanta jusqu’à épuisement. Cette légende est reprise dans la célèbre chanson Caruso, dont les sanglots longs ont été chantés par Andrea Boccelli, mais aussi par Luciano Pavarotti et bien d’autres : Te voglio bene assai (Je t’aime tant, tu sais...).
L’un des couplets dit : « Il regarda la fille dans les yeux, ces yeux verts comme la mer/ Puis à l’improviste une larme surgit, et lui il crut qu’il se noyait...»
Ses premiers succès à l’étranger, Enrico Caruso les connut dans notre région, à Monaco, à l’âge de 29 ans. Jusqu’alors, il n’avait chanté qu’en Italie.
Le 1er février 1902, il fut engagé par le légendaire directeur de l’Opéra de Monte-Carlo, Raoul Gunsbourg, pour chanter dans la Bohème de Puccini.
Qui était la soprano qui chanta à ses côtés ce jour-là ? La mythique, la sublime, la divine Nellie Melba – celle pour laquelle le cuisinier de Villeneuve-Loubet Auguste Escoffier a inventé la Pêche Melba ! La représentation est triomphale. Dans la salle se trouvait Fred Gaisberg, le directeur artistique des disques Gramophone de Londres. L’industrie du disque en était à ses débuts. À cette époque, on enregistrait à peine quelques minutes de musique sur de grosses galettes de cire qui tournaient à toute allure.
Dès la fin de la représentation, Gaisberg bondit en coulisse, un contrat et un stylo à la main et fait signer Caruso pour l’enregistrement de dix faces de disques. Ces disques primitifs seront vendus jusqu’en Amérique.
On les écouta au milieu des crachements que produisaient à l’époque les grosses aiguilles des gramophones. Mais le miracle de l’enregistrement était là. Ces disques constituent aujourd’hui d’inestimables témoignages de la voix de Caruso.
À la suite de cela, le ténor est engagé aux États-Unis. Il deviendra la coqueluche de l’Amérique. Le célèbre Metropolitan Opera de New York lui fait un triomphe. Il y chantera pas moins de dix-sept saisons successives ! Il demeure l’un des chanteurs les plus souvent engagés dans cet opéra mythique (avec, bien sûr, notre diva de Draguignan, Lily Pons, dans les années quarante !). Malgré ses triomphes américains,
Caruso n’oubliera pas Monaco, demeurant fidèle au lieu de ses premiers succès internationaux. En 1903, il revient y chanter la Tosca aux côtés de la soprano Hariclea Darclée qui n’est autre que la créatrice historique de cet opéra de Puccini.
En 1904, c’est pas moins de quatre ouvrages qu’il chante en Principauté
: Rigoletto, l’Elixir la Bohème et Aida.
Caruso est au faîte de sa gloire. En 1907, son enregistrement de l’air Ris donc Paillasse devient le premier disque à se vendre à plus d’un million d’exemplaires. d’Amour,
Les allers-retours entre l’Amérique et l’Europe l’épuisent. Il faut huit jours pour effectuer la traversée en paquebot, à l’époque. Il commence à avoir des ennuis de santé. Comme il est un grand fumeur – chose à ne pas faire lorsqu’on est chanteur d’opéra ! – arrive ce qu’on redoutait : un nodule apparaît sur une corde vocale, il doit subir en 1909 à Milan une intervention chirurgicale.
À New York, on attend avec angoisse son retour. Miracle, il a toujours sa voix... mais avec un timbre plus sombre !
1914. C’est la guerre. Sa fidélité à Monaco, Caruso va la prouver une nouvelle fois à cette occasion. Alors que le conflit mondial fait rage et que les traversées de l’Atlantique sont dangereuses – plusieurs navires ont été torpillés – il honore en 1915 la promesse qu’il a faite à Raoul Gunsbourg de revenir chanter à Monaco.
Par mesure de sécurité, il ne traverse pas l’Atlantique directement en direction de la France mais passe par Naples. Le 11 mars, il se produit à Monaco dans Aida aux côtés d’une grande vedette de l’époque, Felia Litvine. Et il n’en reste pas là : il fait vibrer les ors de la Salle Garnier dans Rigoletto, Lucia di Lamermoor, Samson et Dalila. Chaque fois, c’est le délire ! Samson et Dalila sera son dernier opéra à Monaco – en même temps que l’ouvrage de son malheur. Le 3 décembre 1920, en effet, alors qu’il chante cet ouvrage à l’Opéra de New York, il est sérieusement blessé par la chute d’une colonne du décor. Il retourne alors à Naples. Il y mourra le 2 août 1921. Le monde de l’opéra venait de s’effondrer. L’Italie décréta un deuil national. Le roi Victor-Emmanuel assista aux obsèques. C’était il y a cent ans...