Var-Matin (La Seyne / Sanary)

Cazeneuve : « Un attentat, c’est toujours un échec »

Ministre de l’Intérieur à l’époque de l’attentat contre « Charlie Hebdo », puis au moment de la tragédie de Nice en juillet 2016, il revient sur ses choix… et sur les polémiques.

- PROPOS RECUEILLIS PAR LIONEL PAOLI lpaoli@nicematin.fr

Chez Bernard Cazeneuve, le verbe est aussi sec que l’attitude. Même en vacances, dans le confort ouaté d’une maison d’hôtes « les pieds dans l’eau » au Brusc (Var), l’ancien Premier ministre de François Hollande garde cette distance qui lui a tant été reprochée. « C’est de la réserve », lâche-t-il, quelques minutes avant de rencontrer les lecteurs de ses derniers ouvrages.

Le premier, À l’épreuve de la violence, raconte son passage au ministère de l’Intérieur en 2014 et 2015. Le second, Chaque jour compte, évoque ses 150 jours « sous tension » à Matignon.

Entre les lignes, comme entre les mots, difficile de trouver l’ombre d’un remords ou d’un regret chez le chef de gouverneme­nt le plus éphémère de la Ve République.

Ministre de l’Intérieur au sein d'un gouverneme­nt socialiste, n'est-ce pas un portefeuil­le impossible ?

Non seulement c’est possible, mais cela peut se faire en augmentant les budgets. Nous avions à corriger bien des défauts de la politique précédente. Pendant le mandat de Nicolas Sarkozy,   emplois avaient été supprimés dans la police et la gendarmeri­e ; les crédits hors personnels avaient baissé de  %. La réforme des services de renseignem­ent avait privé les forces de l’ordre de capteurs de signaux faibles [de radicalisa­tion, Ndlr]. Il a fallu remédier à tout cela dans un contexte de course contre la montre, avec une menace élevée et une attrition des moyens.

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Vous racontez que votre prédécesse­ur, le jour de la passation de pouvoir, ne vous a parlé que d'un sujet : la montée de l'islamisme radical…

Ce phénomène, le départ de jeunes Français en Irak ou en Syrie, était alors peu médiatisé et peu connu des autres membres du gouverneme­nt. L’entretien que j’ai eu avec Manuel Valls a été le point de départ de l’action que j’ai conduite pendant près de trois ans. Nous avons pris des mesures immédiates : création d’un numéro vert pour signaler les radicalisa­tions, augmentati­on des effectifs de police et de gendarmeri­e, première loi antiterror­iste pour s’opposer au départ des jeunes…

Vous n’avez donc pas sous-estimé la menace ?

Absolument pas. Mais, pour

« Je savais que les attentats pourraient faire l’objet d’une exploitati­on politique susceptibl­e de fracturer notre population », confie l’ancien chef du gouverneme­nt de François Hollande.

voter des lois, il faut du temps : on ne peut pas faire l’économie de la navette parlementa­ire…

En octobre , après la mort du militant écologiste Rémi Fraisse lors d’un affronteme­nt avec la gendarmeri­e, on vous a reproché votre froideur. Pensez-vous avoir mal réagi ?

Ce qui a été perçu comme de la froideur était, en réalité, une grande rigueur de ma part. Ma conviction, c’est que lorsqu’une tragédie survient, les familles veulent la vérité plutôt qu’un discours compassion­nel.

Je jugeais légitime de prendre la parole après que cette vérité eut été établie. Mais le procureur s’est exprimé plusieurs jours après le drame. Sans doute aurais-je dû ne pas attendre…

En janvier , la France est confrontée à une série d'attentats. Après l'attaque contre Charlie Hebdo, quelle a été votre première réaction ?

Pour un gouverneme­nt, lorsqu’un attentat survient malgré tous les moyens mis en oeuvre pour l’empêcher, c’est toujours un échec.

Avez-vous mesuré les conséquenc­es, à long terme, de ces événements ?

Je les avais intérioris­és avant qu’ils ne se produisent, par une relation presque tellurique à mon pays. Je savais aussi que ces attentats pourraient faire l’objet d’une exploitati­on politique susceptibl­e de fracturer notre population. J’avais mesuré les risques de basculemen­t. Pour cette raison, lorsque l’événement redouté s’est produit, j’ai eu – me semble-t-il – un comporteme­nt sobre et rigoureux.

Vous êtes toujours ministre de l'Intérieur, le  juillet , le jour de l’attentat de Nice. Le dispositif policier a été mis en cause. Aujourd'hui, vous maintenez que l'État a tout fait pour prévenir cette tragédie ?

Il y a eu une enquête judiciaire ; les faits ont été établis. Hormis pour l’attentat de Nice, il n’y a jamais eu de polémique avec les élus locaux. Et lorsqu’il y en a, je ne les entretiens pas. [Silence] Vous ne trouverez pas un mot de ma part mettant en cause l’action de la police municipale niçoise. L’inverse n’est pas vrai.

Vous êtes nommé à Matignon le  décembre , quelques mois avant l’élection présidenti­elle. C’était un cadeau empoisonné ?

La période était particuliè­re.

Il y avait, autour de moi, beaucoup d’ambitions personnell­es. Des petites et des grandes trahisons s’opéraient. Je voyais des personnali­tés, qui avaient fait le siège de François Hollande pour être ministre en , regarder soudain vers d’autres horizons… C’était la comédie humaine dans ce qu’elle a d’ordinaire, de décevant et de triste.

Dans ce contexte, pourquoi avoir accepté le poste ?

Parce que lorsqu’on est nommé ministre par un président de la République et que ce dernier traverse une période tempétueus­e, on reste à bord. J’ai fait mon devoir. Je me suis occupé des affaires de l’État – et seulement de cela.

Vous saviez que François Hollande avait choisi de ne pas se représente­r ?

Oui. Il m’en avait informé plusieurs semaines avant de rendre publique sa décision [le er décembre , Ndlr].

Comment vit-on la perte du pouvoir après un scrutin comme celui de  ?

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J’avais mesuré les risques de basculemen­t”

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Je n’ai pas d’addiction au pouvoir”

C’était une défaite. Mais je n’ai pas d’addiction à la politique ou au pouvoir. Je n’ai pas besoin de cela pour exister. Je me suis mis en retrait, j’ai repris mon métier d’avocat et j’ai entamé une autre période de ma vie.

Vous refusez de parler de l’avenir du PS, de la présidenti­elle… Pourquoi ?

J’ai une véritable passion pour mon pays. Quand je peux dire des choses utiles pour apaiser, rassembler ou rappeler des valeurs, je le fais. Sans sectarisme. Comme le disait Alexis de Tocquevill­e : « Je suis violemment modéré ». Dans cette période d’outrances, l’esprit de nuances est plus que jamais nécessaire.

[Il sourit] Chaque jour, il y a un nouveau candidat à la présidenti­elle ; pas un ne semble se demander s’il est utile. C’est un spectacle assez dérisoire. J’ai une démarche plus modeste que ces grands égotiques. 1. Très forte diminution.

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(Photo Valérie Le Parc)

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