Var-Matin (La Seyne / Sanary)

« JE ME SUIS NOYÉ DANS LE TRAVAIL »

Lui, un film très personnel écrit par l’acteur et réalisateu­r pendant le confinemen­t, sort demain. Lors du festival Cinéroman, à Nice, il nous a parlé de cette oeuvre où il fait face à ses propres tourments.

- JIMMY BOURSICOT jboursicot@nicematin.fr

Posons le décor comme Guillaume Canet l’a rapidement fait, lors de notre rencontre samedi dernier au Pathé

Gare du Sud , où Lui était projeté en avant-première. Ce film écrit en trois semaines, réalisé en un mois avec un casting de haut vol (Virginie Efira, Laetitia Casta, Mathieu Kassovitz, Patrick Chesnais, Nathalie Baye), coproduit et joué par ses soins est très intime, mais pas autobiogra­phique, comme les amateurs de potins aimeraient l’imaginer.

Canet y incarne un compositeu­r en panne d’inspiratio­n quittant soudaineme­nt sa famille pour aller s’isoler à Belle-Île-en-Mer, dans une vieille maison située sur une falaise. Avec son épouse (Virginie Efira), le lien est rompu. Avec sa maîtresse (Laetitia Casta), c’est compliqué aussi. Et lui semble au bord du gouffre, ne sachant comment cohabiter avec le « connard » en lui, « cette petite voix qui nous tire vers le bas et nous met le doute ».

Ce projet est né du confinemen­t et de l’interrupti­on du prochain

Astérix, que vous réalisez ?

En fait, je ne savais pas si ça allait être un film, une pièce de théâtre ou simplement des pensées que je voulais mettre sur papier. Ça s’est fait d’une traite, de manière fulgurante. C’était excitant d’écrire comme ça, sans retenue.

Dans l’art, il a souvent été question de la dualité de l’être. Que fait-on de sa “mauvaise face” ?

Il faut savoir vivre avec, l’accepter. Parce qu’elle est là pour nous apprendre quelque chose. Je n’aurais pas fait les films que j’ai faits si je n’avais pas eu cette partie de moi qui me rend un peu chiant, un peu pointilleu­x. Je suis très exigeant envers moi-même, j’ai toujours du mal à me satisfaire de mon travail ou de qui je suis.

Autour de votre personnage, les autres apparaisse­nt au gré de ses pensées et de ses tourments, de manière assez fantastiqu­e. D’où vient cette idée ?

Ma grande inspiratio­n, c’est Bertrand Blier. À partir du moment où j’ai greffé d’autres personnage­s à cette histoire, j’ai beaucoup pensé au Bruit des glaçons [Jean Dujardin, écrivain, y recevait la visite “incarnée” de son cancer, joué par Albert Dupontel,

ndlr] m’a beaucoup inspiré par rapport à cette facilité à faire entrer et sortir d’autres personnes, sans même les identifier, avec un truc très cash, un peu absurde et décalé. Évidemment, il y a un peu d’Hitchcock et un peu de Sautet aussi. « C’est important de faire du cinéma de cette manière, un peu inconscien­te »

J’avais envie qu’on aille dans plusieurs genres différents. Au début du film, il y a un aspect un peu flippant. Je voulais montrer que le monde qui nous entoure est aussi ce qu’on en fait.

Avez-vous montré le film à des psychiatre­s ?

Oui, j’ai fait une projection pour des psychiatre­s et psychothér­apeutes. C’était assez génial. J’ai appris que ce que je racontais correspond­ait à une thèse d’une grande psychiatre sur le concept du clivage du moi. J’étais assez surpris d’avoir traité ce thème sans le savoir.

La maison sur un terrain glissant, l’étage interdit ou encore le piano désaccordé : tous ces éléments symbolique­s sont donc fortuits ?

Oui, oui, c’est ce qui est dingue. Je ne les ai pas imaginés volontaire­ment pour ça.

Votre compagne, Marion Cotillard, est créditée au générique. Comment a-t-elle contribué à Lui ?

Elle m’a bien aidé dans un moment où je tournais un peu en rond. Elle m’a fait lire un poème de Rûmî, un poète persan du XIIIe siècle. Dans La Maison

d’hôtes, il explique que chaque être humain est comme une maison d’hôtes. Chaque émotion arrivant doit être accueillie sur le pas de la porte avec un grand sourire. Parce que c’est un guide venu d’ailleurs, qui va vous apprendre quelque chose.

Pour éviter que l’on s’attache uniquement à savoir ce que vous avez mis de vous dans ce personnage, avez-vous pensé le faire jouer par un autre acteur ?

Très sincèremen­t, des rôles dont j’ai vraiment envie, il y en a de moins en moins. J’ai fait beaucoup de films en tant qu’acteur, j’ai envie de certaines choses plus complexes. Quand l’écriture était finie, j’ai eu envie de m’offrir ce rôle. Savoir ce qui m’est arrivé ou pas, c’est aussi du voyeurisme de la part des gens. Si je n’étais pas connu, on ne se poserait pas toutes ces questions. On met tous de soi dans nos films. Il y a des choses vraies, d’autres pas. C’est important de faire du cinéma de cette manière, un peu inconscien­te. Et de ne pas trop se censurer.

Sur un plan personnel, avezvous le sentiment que ce film vous a fait avancer ?

Cela m’a donné certains outils pour, un jour ou l’autre, connaître un vrai apaisement. Cette direction me plaît beaucoup. Je peux enfin me poser, dans tous les sens du terme. J’en avais vraiment besoin, je crois. Pendant des années, je me suis noyé dans le travail parce que je refusais de voir certaines choses.

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